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enfant qui, pleurant sur le sein de Mme Darmençay, n’interrompait ses sanglots que pour lui dire : « maman ! comment supporter une telle douleur ! J’y succomberai, maman, je ne pourrai la soutenir. » — « Mon enfant, » répondait la tendre mère, « laisse à Dieu le soin de ton sort, songe que si d’une main il frappe, de l’autre il soutient. Qui sait si, plus tard, tu ne lui rendras pas grâce, précisément, de ce qui fait aujourd’hui couler tes larmes ? Calme-toi, mon Emma. N’afflige pas ton père et moi en restant inconsolable. Nous te restons, chère fille. N’es-tu pas le but unique de nos pensées, de nos affections et ne te rendrais-tu pas toi-même coupable d’ingratitude, si tu paraissais ne nous compter pour rien dans ton bonheur ? » — « Pardon, maman, pardon, » s’écria la pauvre Emma, craignant d’avoir blessé le cœur de sa mère, « Dieu m’est témoin que je ne veux plus vivre que pour vous deux ; mais vous m’aviez permis de l’aimer, celui qui, maintenant, me dédaigne et me fuit. Le vide qu’il a laissé dans mon âme ne se remplira jamais. » — « Il faut tâcher de l’oublier, puisqu’il t’abandonne. » — « L’oublier ? impossible, maman. » — « Si fait, mon enfant. Tu possèdes tant de moyens de distraction ; ton piano, ton chevalet, tes livres, ton aiguille, les soins du ménage, les devoirs de la société : que d’objets vont se disputer tous tes instans ! C’est à présent que tu vas sentir le prix de l’éducation que tu as reçue. C’est le moyen que Dieu te ménage pour cicatriser les blessures de ton cœur. » — « Les cicatriser, » dit Emma en redoublant ses pleurs, « dites donc plutôt que ces choses les rouvriront à chaque instant. Mon piano, n’y étais-je pas souvent accompagnée par lui ? Ma peinture, n’y excellait-il pas et ne recevais-je pas chaque jour ses conseils ? Les soins du ménage, ne m’y formiez-vous pas pour lui ? La société, ô ma mère, songez-y donc ! Si Auguste était un de ces hommes obscurs dont le nom, reste enseveli dans un cercle étroit, peut-être pourrais-je espérer ; mais non, le génie d’Auguste ne peut que se déployer avec le temps, d’immenses succès l’attendent. Je n’entendrai partout que son éloge, son nom sera dans toutes les bouches, et ce nom, que je devais m’enorgueillir de porter, jettera le trouble dans mon âme, il fera rougir mon front, non de honte, je n’ai pas mérité son affreux abandon, mais de douleur et d’indignation. » Ainsi parlait Emma et Mme D..., qui ne pouvait se dissimuler qu’il n’y eût beaucoup de vérité dans le discours de sa fille, la regarda longtemps d’un