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retirer une grande consolation ; donc il était le plus malheureux des hommes... » Toutes ces doléances bien sincères sans doute n’étaient pas sans douceur pour les parens d’Emma et pour Emma elle-même, car, telle est la nature de l’égoïsme qu’il se glisse dans les cœurs les plus purs, dans les êtres les moins personnels, et, quoique l’on dise souvent : « Je veux souffrir seule, que ceux que j’aime soient heureux, c’est assez pour moi ! » et mille autres discours que l’on tient de la meilleure foi du monde, il n’est pas moins vrai que nous serions profondément blessés de voir ceux que nous aimons parfaitement contens tandis qu’ils nous sauraient dans la douleur, et que nous éprouvons un véritable soulagement à voir partager nos peines surtout par ceux qui en sont l’objet.

Pendant l’absence d’Auguste, Emma charmait sa douleur en cultivant les arts qu’elle savait lui être agréables. Souvent quelques-uns de ses amis étaient invités chez M. Darmençay. On parlait du voyageur, on faisait de la musique, on causait arts : il les aimait tous, excellait dans quelques-uns et, en s’occupant de ce qu’on savait lui plaire, on semblait se rapprocher de lui. Mais tandis qu’il était ainsi le centre de toutes les pensées, Auguste, dont le caractère un peu faible manquait de tenue dans les idées, ce qui malheureusement n’est que trop souvent le partage des hommes de génie ; Auguste, dis-je, se laissait entraîner par les nouvelles connaissances qu’il avait faites dans le lieu de sa résidence. Ses lettres étaient toujours tendres, mais le désir du retour ne s’y faisait plus aussi vivement sentir. La belle saison ne lui laissait plus apparaître la contrée sous un si triste aspect. Ces tendances n’échappèrent point à M. et Mme Darmençay, qui en conçurent quelques inquiétudes. Cependant, les expressions affectueuses dont ces lettres étaient remplies, étaient de nature à les rassurer ; le moment du retour approchait, car, selon toutes apparences, la mission d’Auguste touchait à son terme, et, tout prolongement de son séjour lui serait même nuisible, à moins qu’il n’obtînt quelque grade qui l’obligeât de rester. D’autre part, quelques amis de la famille Darmençay ayant aperçu en elle des indices d’inquiétude eurent l’indiscrétion de hasarder quelques conseils, même quelques expressions de blâme ; ces discours, dictés par le zèle sans doute, mais par un zèle mal entendu, firent impression sur M. Darmençay. Ses lettres qui, jusqu’alors, avaient respiré la tendresse paternelle,