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un caractère plus calme ; la douce Emma, soumise, levait timidement les yeux vers celui qu’elle craignait de ne plus revoir et se tenait près de son père, commandant avec peine à ses larmes prêtes à couler. Tout à coup, Auguste saisissant la main de celle qu’il aimait et respectait à l’égal d’une mère : « Vous me la conserverez, n’est-ce pas, » s’écria-t-il, « c’est un dépôt sacré que je vous confie et que, plaise au ciel, je viendrai bientôt réclamer de vous. » — « Oui, » lui répondit Mme Darmençay, d’une voix qu’entrecoupaient les sanglots, car l’action tendre et passionnée du jeune homme avait fait disparaître une partie du calme qu’elle s’était imposé, « oui, je vous la garderai soigneusement, reposez-vous sur moi des soins de la tendresse. » Quelques larmes se firent jour et l’empêchèrent de continuer. Auguste profita de ce moment d’attendrissement pour supplier Mme Darmençay de lui permettre d’offrir à Emma un gage de fidélité. Mme Darmençay, d’un signe de tête, le lui ayant permis, il tira de son sein une précieuse médaille, celle-là même que le ministre lui avait remise lors d’un brillant concours dont il avait remporté le prix. Il la présenta à Emma qui, tremblante d’émotion, regardait sa mère. « Accepte-la, ma fille, » lui dit celle-ci : « en retour mets à son doigt la bague que je t’ai donnée et que tu portes depuis longtemps. » Emma détacha lentement de son doigt cette bague si chère et la présenta à Auguste qui, dans le transport de sa reconnaissance, attira son amie sur son cœur et l’y pressait tendrement, lorsque M. Darmençay jusqu’alors spectateur immobile et silencieux, voyant sa fille presque dans les bras d’Auguste, se sentit ému d’une sorte de jalousie et, saisissant vivement Emma, l’assit sur ses genoux, tandis qu’Auguste cherchait à retenir la main qui lui avait tendu l’anneau. M. Darmençay, dont le mouvement subit avait semblé dire : — « Elle est à nous, elle ne vous appartient pas encore, » craignant pourtant d’avoir affligé celui que, dès longtemps, son cœur avait adopté pour fils et, prenant lui-même la main de sa fille, la remit dans celle d’Auguste qui la couvrit de baisers, tandis que l’excellente mère contemplait mélancoliquement ce touchant spectacle.

Cependant, l’heure avançait et M. Darmençay crut devoir en avertir Auguste qui partait le lendemain d’assez bonne heure.

Emma, restée jusqu’alors dans un profond silence, tressaillit à la voix de son père qui, se levant le premier, la remit à