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plaire davantage à tous trois, mais, du moins, je me parerai de tout ce qui me siéra le mieux. » Puis, elle choisissait parmi tous ces agréables riens ce qu’elle croyait pouvoir convenir à ses jeunes années. Auguste arrive les traits bouleversés et, d’une voix altérée, fait à sa famille adoptive la lecture de l’ordre qu’il vient de recevoir du Ministre duquel il dépend, ordre qui l’oblige à partir le surlendemain pour une mission importante que l’on ne peut confier qu’à lui seul. Elle était honorable cette mission, car elle était dangereuse, et le devoir, l’honneur devaient parler plus haut que toutes les affections. Peindre la douleur de Mme Darmençay en recevant cette triste nouvelle serait au-dessus de toute expression et, malgré ses efforts pour conserver la dignité qui, d’ordinaire, ne l’abandonnait jamais, un abattement subit se répandit dans toute sa personne ; le bonheur de sa chère fille lui paraissait fortement compromis par cet événement imprévu. La pauvre Emma, frappée au cœur, restait immobile. M. Darmençay seul put trouver la force de demander à Auguste de combien de temps pourrait aller son absence : « Je l’ignore, répondit celui-ci, et qui peut même en connaître l’issue ? Encore si je partais son époux, il me semble qu’un heureux talisman me préserverait de tous les dangers et me ramènerait près de vous, mes excellons amis... » — « Eh ! pourquoi non, s’écria la tendre mère, qui, dans ce moment, n’écoutait que la voix de son cœur ? »

— « Mon amie, reprit doucement M. Darmençay, cette démarche aurait besoin d’être discutée à loisir, et nous n’avons guère le temps de la réflexion. » En effet, la soirée qui s’avançait obligeait Auguste à retourner à Paris, et les préparatifs de son voyage devaient employer presque toute la journée du lendemain. Enfin, la raison l’emporta, et cet hymen, sur lequel reposait le bonheur de toute une famille, fut remis à l’incertain retour du jeune homme[1].

Le lendemain, cruelle journée ! Auguste, accablé de fatigue et de douleur, se rendit vers le soir près de ses malheureux amis. L’affliction de M. et Mme Darmençay avait paru prendre

  1. Il convient de remarquer ici que le récit ne concorde pas avec les lettres. Ingres père a demandé la main de Julie, suivant la volonté formellement exprimée par celle-ci dans son billet à Ingrou. Mais la lettre spécifie qu’Ingres devra d’abord se rendre à Rome avant d’être uni à Mlle Forestier. Il n’y a donc pas eu surprise.