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et mit tout en œuvre pour le disposer à souscrire aux vœux de son protégé.

M. D... chérissait le jeune d’E..., mais il connaissait aussi ses imperfections et les redoutait pour l’enfant qu’il adorait. Cependant Auguste, né avec un cœur honnête, des passions vives et une grande puissance de génie, devait probablement atteindre au sommet de la carrière qu’il avait embrassée. Ainsi que presque tous les hommes supérieurs, il avait des bizarreries, des préventions injustes, une humeur quelquefois inégale, mais la douceur d’Emma, la solidité des principes qu’elle tenait de sa vertueuse mère, les habitudes de soumission et d’oubli d’elle-même dans lesquelles elle avait été élevée faisaient espérer que cette union serait heureuse et régulariserait ce qu’il pouvait y avoir de chancelant, de capricieux même dans le caractère d’Auguste. Pour Emma, jugeant du cœur de celui qui lui était destiné par le sien propre, incapable d’un sentiment de défiance, elle partageait, la bonne jeune fille, entre son père, sa mère et lui, les plus vives comme les plus pures affections de son âme, et les chances de bonheur semblèrent se grouper autour du jeune couple.

Tout se préparait donc à combler les souhaits d’Auguste. Le temps fixé pour le mariage approchait, et pourtant, malgré l’affection tendre que M. et Mlle D... portaient à celui auquel ils avaient accordé leur fille, une inquiétude, une tristesse indicibles s’emparaient de ces dignes parens au moment de placer entre les mains d’un étranger le sort de cette enfant qui, jusqu’alors, avait absorbé toute leur sollicitude. Auguste affligé, presque blessé de ces sentimens qui lui paraissaient une injurieuse défiance, cherchait à les effacer par les plus vives protestations, les plus tendres assurances du bonheur futur d’Emma. Celle-ci se livrait avec une joie candide à l’espoir d’être un doux lien entre ses parens adorés et celui auquel elle allait dévouer sa vie. Pour elle, son père, sa mère, Auguste, étaient l’univers ; leur bonheur, son unique désir et son unique devoir. Cependant un orage s’apprêtait à fondre sur cet édifice de félicité.

Un jour, c’était presque à la veille de celui qui devait unir les deux jeunes gens, la naïve gaîté d’Emma était excitée par la vue des parures simples, mais élégantes dont elle devait être ornée au plus beau jour de sa vie : « Maman, disait-elle avec un rire enfantin, quel dommage de n’être pas jolie pour vous