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Son père, cédant au vif désir qu’il avait exprimé de venir développer au centre des lumières et de l’enseignement les talens en tous genres que le ciel lui avait départis, l’avait envoyé à Paris dès l’âge de quinze ans[1]. Au bout de quelques années, désireux de juger par lui-même des progrès de son fils, il vint lui-même[2]. Le premier soin d’Auguste fut de présenter son père à M. et Mme Darmençay de la société desquels il faisait partie. M. d’Egreville, heureux de voir son fils admis dans une maison aussi respectée, supplia M. D... d’aider Auguste de ses conseils, et de vouloir bien le remplacer auprès de lui, s’il l’en trouvait digne. M. D... qui, déjà, portait au jeune homme un tendre intérêt, promit à M. d’E... tout ce qu’il désirait et, dès lors, celui-ci fut tranquille sur la conduite ultérieure de son fils.

Dans les diverses visites que le père d’Auguste avait faites à cette digne famille, il avait été à portée d’observer le caractère et les habitudes de la jeune Emma, ses talens assez distingués, sa modestie, son obéissance passive aux moindres désirs de ses parens, son goût pour les soins du ménage, sa figure peu remarquable, mais empreinte de candeur et de bonté. Tout lui faisait souhaiter qu’une heureuse sympathie rapprochât un jour ces jeunes gens faits, du moins il le pensait, pour le bonheur l’un de l’autre. Peu après que M. d’E... eut quitté Paris, soit que les éloges qu’il donnait souvent à Mlle D... eussent ouvert les yeux d’Auguste sur ses précieuses qualités, soit que le temps et l’expérience du monde qu’il commençait à acquérir l’eussent disposé à les apprécier, il commença à ressentir pour cette jeune personne un vif sentiment de préférence. Le respect, la confiance que lui inspirait Mlle D... lui firent naître la pensée de la choisir pour confidente de la tendresse que lui faisait éprouver Emma et de son désir de l’obtenir pour épouse. Un tact fin et délicat l’avait averti qu’une bonne mère est toujours si flattée du choix que l’on fait de sa fille, qu’il est rare qu’elle ne soit pas le meilleur avocat en semblable cause ; effectivement, discerner les vertus, les talens, les agrémens de son enfant chéri, n’est-ce pas rendre un hommage tacite aux soins qu’elle lui a donnés, aux qualités qu’elle lui a transmises ? Ainsi qu’il l’avait espéré, Mlle D... s’empressa d’instruire son époux des intentions d’Auguste

  1. Ingres avait, en réalité, dix-sept ans quand il arriva à Paris, en 1797, « un mois avant Fructidor, » a-t-il écrit.
  2. Ingres père vint à Paris en 1804.