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EMMA OU LA FIANCÉE. Julie Forestier, c’est « Emma Darmençay. » Jean-Auguste-Dominique Ingres, c’est « Auguste d’Egreville. » Voici les tristes pages, telles quelles.


EMMA OU LA FIANCÉE

« ... Un jour pourtant, Emma !... » À ce mot, la tête de la jeune fille s’inclina vers les roses qui paraient sa ceinture, et leur éclat se refléta plus vivement sur l’albâtre de son teint : « Oh ! madame, regardez comme elle ressemble à son bouquet ! » Ceci s’adressait à Mme Darmençay qui, sortie depuis quelques minutes seulement, venait de rentrer : « Que lui avez-vous donc dit ? » reprit cette dernière, en fixant avec quelque inquiétude le jeune homme qui lui parlait. « Rien, ou presque rien, du moins, » fit-il en abaissant son regard sous celui de Mme Darmençay. Puis, la bonne mère les considérant tous deux avec une tendresse presque égale, sourit doucement, les fit asseoir à ses côtés, et réunissant leurs mains dans les siennes, posa sur le front de sa fille un doux baiser. Alors commença entre eux une de ces conversations dont le cœur fait seul tout le charme et tous les frais.

Cette petite scène se passait dans une maison de campagne assez rapprochée de Paris. A raison de cette proximité et dans la belle saison, M. Darmençay, que d’importantes fonctions retenaient à la ville, pouvait chaque jour, après avoir pris le repas du matin avec sa famille, se rendre à ses occupations et l’heure du dîner le ramenait auprès d’elle. Au moment dont nous parlons, il était attendu avec impatience par sa femme, sa fille et le jeune homme dont il a été question plus haut, Auguste d’Egreville, c’était son nom, avait inspiré aux parens d’Emma assez d’estime et leur avait fait concevoir d’assez hautes espérances pour les déterminer à lui accorder la main d’une fille unique et tendrement chérie dont l’éducation, extrêmement soignée, avait toujours été la plus douce comme la plus continuelle de leurs occupations. La jeune personne avait sans doute apporté en naissant quelques dispositions heureuses, mais les soins de ses parens, leur goût éclairé, la délicatesse de leur tact, avaient plus que doublé l’effet des leçons qu’elle recevait des meilleurs maîtres.

Comment ce lien s’était-il formé, le voici. Auguste avait vu le jour dans une des provinces les plus éloignées de la capitale.