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confiés. Il produirait sur ces derniers une vive émulation qui ne pourrait que donner de bons résultats. Dans le cas que le gouvernement soit possesseur de ces deux tableaux, j’adresse une pétition à Monseigneur le ministre de l’Intérieur pour lui faire la demande d’un, en mettant les mêmes motifs que ci-dessus. J’ai, à cet effet, nanti M. Couderc d’une procuration en forme. Je vous prie, monsieur, de vous en entendre avec lui pour les démarches à faire à cet égard. Vous m’obligerez infiniment. Recevez d’avance mes remerciemens et soyez, auprès de Mme et Mlle Forestier, l’interprète des sentimens les plus sincères et les plus affectueux avec lesquels je vous prie de me croire,

« Monsieur,

« Votre très humble et très obéissant serviteur.

« INGRES. »


Cette fois, M. Forestier dut mettre toutes choses au point. Et la correspondance des deux pères ne se poursuivit pas plus avant.


V

Il faudrait écrire ici le mot : Fin, s’il ne nous restait encore un document à placer sous les yeux du lecteur. Et quel document !

Mlle Forestier s’était donnée tout entière à son amour. Elle vécut jusqu’à un âge très avancé et quand, d’aventure, ses familiers faisaient allusion au lointain passé et regrettaient qu’elle n’eût point épousé l’un des jeunes gens qui fréquentaient le petit Hôtel Bouillon : « Non, répondait-elle, quand on a eu l’honneur d’être la fiancée de M. Ingres, on ne se marie pas. » Mais elle avait gardé, au fond d’elle-même, une douloureuse amertume dont le récit quelle rédigea, du drame moral de 1806-1807, porte les traces. Ce récit est parvenu jusqu’à nous. Ecrit de la main de Mlle Forestier, de cette même main qui, dans le portrait du Louvre, tient un fin mouchoir destiné à sécher ses larmes, il forme un petit cahier de dix-huit feuillets, chargés, au recto et au verso, d’une écriture un peu lourde, souvent raturée, et qui décèle déjà la vieillesse commençante. Dans quelle intention Julie rédigea-t-elle son récit ? Pour qui ? Pour quoi ? Autant de points d’interrogation auxquels il nous est impossible de répondre. Le récit de Julie porte ce titre :