Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/422

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les vôtres et trois cents lieues que je viendrais de faire à pied ne me lasseraient pas plus, sans parler de l’effort d’oser ainsi vous parler. Je dois cependant encore vous dire que, quant aux idées que vous ne voulez tracer, et des injurieuses conséquences que vous avez tirées de Lucien, et que Mlle Forestier a eu la bonté dans le cœur de chercher à effacer par ce qu’elle croyait, croyez, monsieur Forestier, que l’intérêt ne fut jamais et n’est le mobile de mes actions, et que surtout je n’ai même jamais occupé mon esprit de ce que vous pourriez donner à votre chère fille en matière de dot, et à l’avantage réel que j’avais d’être traité comme votre second enfant, que vous m’offriez si généreusement. J’ai cru qu’il était, au contraire, de mon devoir de penser aussi à son bonheur de ce même côté, tant pour ma propre satisfaction personnelle que parce que je suis persuadé très fort que la vertu d’une femme est sa véritable dot, et ce qui me rend toujours chère Mlle Forestier. J’avais donc, pour être franc (et je ne vous l’ai jamais celé), toujours vu avec peine par le soin outré de ses talens que vous vouliez réparer par là l’insouciance coupable de son mari (pardonnez-moi) ou de son peu de moyen à lui donner l’aisance de la vie. »


A Monsieur Forestier.

« Je viens de relire vos lettres. Je ne puis tenir à mes remords ; oui, j’ai perdu la tête, vous m’ouvrez les yeux, mais en grâce agréez et obtenez que je puisse rester mon temps entier à Rome où je puisse y faire ce que demande ma grande satisfaction. Je vous le demande à deux genoux, il m’est impossible de quitter sitôt un pays si merveilleux. Cette contrariété a seule fait tourner ainsi ma tête. Vous n’êtes pas, peut-être, sans le sentir comme moi. Mais l’état de mes bonnes dames m’affecte horriblement. Ayez bien soin de vous. Je n’ai le temps ni le courage de répondre à leurs bonnes raisons, leur bonté, leur douceur. Elles me tuent, m’ôtent les moyens de jamais me justifier du mal que je leur ai fait. Je n’ai point le temps de refaire une lettre, le temps me presse trop. Mais, de grâce, ne la lisez pas ou, du moins, laissez à jamais ignorer à ces dames et à vous-même ce qui est indigne et de vous et de moi. C’est pour vous seuls que je reverrai la France. Sur cela, je vous sacrifie ma forte prévention ; mais que dois-je, que puis-je espérer après