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moyens de faire, et toujours avec la fièvre des irrésolutions que mon inconstance rend encore plus pénibles. Ayant eu bien le temps de faire et de concilier mon plan d’études et d’ouvrages sérieux et essentiels, et fait tout ce que je pourrais faire, je fusse peut-être retourné à Paris tout autre. Mais, tout a été au rebours : moi me figurer que je pourrais sitôt quitter un pays qu’il faut connaître, pour en sentir tout le prix, et vous de ne l’avoir pas su prévoir. Ce n’est point, monsieur Forestier, à titre de reproche, que je vous mets ceci sous vos yeux. Vous avez toujours fait et faites ce que vous devez naturellement faire ; mais moi, j’ai fait, de la meilleure foi du monde, inconséquence sur inconséquence, dont je vous fais malheureusement les premières victimes, à ma confusion et à mon désespoir. Il fallait parler et s’entendre et ne rien arrêter. Voilà, hélas ! tout mon crime, mais puis-je après ces aveux malheureux redevenir votre gendre ? Suis-je digne du cœur de votre adorable fille et de vous ?... Quelle confiance pourriez-vous avoir en moi à présent, et puissiez-vous me pardonner, je sens que, malgré l’exemple de tant de vertus en vous réunies, mon âme est tellement aigrie et ulcérée que vous ne me trouveriez plus le même qu’autrefois. La seule vue ou la moindre contrariété m’ôterait la paix du cœur que je trouvais en vous, et tous vos soins touchans et vos bons exemples ne me donneraient la philosophie de supporter patiemment ce qui n’est pas juste et l’ambition d’être placé où je le mérite. On a donné des médailles à des êtres et moi des couleuvres à ronger. Non, je n’aurai jamais de bonheur, je suis mal né. Je renonce à la société ; mauvaise ou bonne réputation que je puisse y acquérir, au moins, je n’en serai pas le triste témoin. Je fais à présent ce dernier effort, si je puis encore faire quelque chose pour m’acquitter de ce que je dois au monde et ne plus rien devoir aux hommes que beaucoup de haine et malédictions, excepté au très petit nombre qui auront eu quelque compassion de mon sort. Je m’attends à votre mépris, je n’ai point de plus fort ressentiment à souffrir de votre part et par là vous allez m achever, et cependant croyez que, malgré la dureté de mon cœur, je trouve la place des remords que me donne l’état de votre chère famille, que je suis doublement malheureux de causer tant de désastres et que je ne sais plus aujourd’hui ; ayez encore pitié de moi. Je ne sais plus que vous dire, il y a trop longtemps que je fais trop souffrir mon propre cœur et