Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/420

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fermé, et j’ai la dureté de vous faire cette confession de foi pour ne point continuer à vous tromper. A présent, je redoute tout et ne crains rien ou, pour mieux dire, je ne sens rien ; mon cœur, je l’avoue à ma honte, n’a pu subir l’épreuve imposée naturellement par ce fatal voyage. Je ne veux point offrir à Mlle Forestier un cœur indigne d’elle, qui ne peut la rendre heureuse. Je ne me sens plus fait aucunement pour l’état qui me charmait le plus avec un cœur si parfait que le sien. Je me connais à présent trop bien. Je ne veux point vous faire, à elle et à vous, un si funeste présent. Je ne me flatte point assez, d’ailleurs, pour croire que je puisse inspirer un sentiment qu’elle ne puisse facilement détruire. Je n’ai rien en moi d’assez aimable ; l’innocence de notre commerce, connu de tout le monde, et sa seule vertu, la mettent à l’abri de tout soupçon injurieux. Tout tombera sur moi et, sans braver votre juste ressentiment, je m’y attends, mais j’aime mieux mourir que de revenir en France, à moins qu’une force supérieure et arbitraire ne m’enlève d’ici. Si mes ennemis viennent m’y troubler, je fuirai plus loin ; ce pays de Paris m’inspire une horreur qui m’est insurmontable ; ce que j’y ai souffert me fait encore frémir. Je n’ai plus de projets d’ambition, je ne sais ce que je deviendrai par la suite. Il est absolument faux que j’aie des travaux pour le sénateur Lucien. Je ne lui ai parlé qu’une fois, à Rome ; une autre fois, je ne l’ai pas trouvé chez lui, et j’en suis resté là. Quant à l’avenir, flatteur pour moi, il est vrai que je suis à Rome logé et nourri, mais mes treize piastres ne suffisent pas, après mon entretien, à me donner des modèles quand j’en ai besoin, quoique je vive dans la plus grande économie. M. Lethière peut avoir fait pour moi des choses que j’ignore, mais si on me propose jamais des ouvrages indignes de mon talent, je les refuserai net. Voilà l’avenir flatteur et la vérité, malgré le secours que j’ai reçu, toujours les mêmes nécessités. Et cependant, ce pays me plairait beaucoup si je pouvais y être heureux ; peut-être que lui seul, par ce qu’il est, aurait pu me guérir de ma frénésie si on m’avait laissé libre de faire mon temps et non me le prescrire, au moment où je respirais un peu, et que le goût naturel qui me porte à mon art s’emparait de moi, et cela par le soin de ma propre gloire sont venues des persécutions bien naturelles de votre part, mais qui ont beaucoup contrarié mes idées. Le temps s’est passé la plupart du temps sans