Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/419

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous avez eu peine de mes hésitations qui ont été le prélude de l’état où je suis et où alors, faute d’entière confiance, je vous trompais vous et moi-même. Oh ! pourquoi a-t-il fallu vous quitter et exposer au Salon ? Je suis inguérissable. Vous me forcez, monsieur, par ces aveux terribles, à une dureté de cœur qui ne m’est pas naturelle et je me fais la plus grande violence. Vous m’avez peut-être connu meilleur, et vous tous qui m’avez vu depuis plus d’un jour pouvez peut-être me rendre cette justice. Je ne peux vous cacher les remords que je ressens de vous affliger tant que je donnerais ma vie, si elle pouvait tout concilier et tout réparer. Mon supplice est d’autant plus grand que je vous aime avec autant de tendresse, autant par la reconnaissance que je dois avoir des soins et des services que vous m’avez rendus que par l’inclination que j’ai toujours eue pour vous et vos vertus. Mais, à présent, ma tête et mon cœur sont malheureusement changés. Je n’ai pu supporter l’épreuve ; en vous perdant de vue, j’ai tout perdu. Tout occupé de mon crève-cœur et des chagrins qui le causent, je ne vois qu’un avenir funeste pour moi et tout en noir. Abandonné de mes amis qui, sans doute, m’oublient, je ne crois plus à rien, je ne crois pas à moi-même. Tout ici même ne tend qu’à me faire sentir que je suis oublié et enterré, et cependant, je préfère cet état d’abnégation à être continuellement à lutter contre l’intrigue, la calomnie et la mauvaise foi. De plus, l’inconstance est un vice de caractère tel chez moi, que je n’ai jamais pu le vaincre ; j’en suis, moi tout le premier, la victime, puisque je ne finis rien. Je n’ai point de tête ni d’idées nettes ; ce que j’aime le matin n’est plus de même, le soir, à mes yeux. C’est ce qui me rend continuellement malheureux. Mes ouvrages d’aujourd’hui sont des ouvrages de Pénélope. Je dois convenir cependant que si j’avais eu le bonheur de ne point exposer au Salon, la source de mes maux, et de rester à Paris constamment, j’aurais, je crois, évité de vous causer jamais aucun chagrin, et serais peut-être devenu sociable. Dans le cas qui est arrivé, j’aurais dû me défier de moi-même, mais dans toutes mes démarches le présent me souriait et j’aurais dû m’expliquer mieux avec vous sur l’avenir. Hélas ! je m’explique lorsqu’il n’est plus temps, par les quatre avant-dernières lettres, différant toujours et n’osant m’ouvrir, j’ai écrit, par cette faiblesse, ce que je ne sentais plus, le désavouant au fond de mon cœur Depuis ce temps, mon cœur, devenu de bronze, s’est