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noir. C’est une loi constante, dans toutes les écoles, dans tous les pays, dans tous les sujets. Il n’y a d’exceptions, parfois, que dans les Marines, dans le cas où de l’eau coule jusqu’au bord du cadre, que le peintre n’a pas toujours osé transformer en encre. Ces premiers plans noirs avec des groupes d’arbres ou des ruines posées à droite et à gauche du paysage comme des portans de théâtre, d’une valeur aussi forte que celle du premier plan, étaient des repoussoirs destinés à rendre plus éclatant et plus lumineux le second plan où se trouve l’intérêt principal de la scène. C’était un axiome et un axiome faux. Les premiers en France, les peintres que voici ont vu que la nature sait mettre en vedette ses seconds plans sans pour cela plonger les premiers dans l’ombre. Du jour où ils l’ont vu, ils ont tenté de le faire. Ils n’y ont pas réussi du premier coup et vous voyez dans les plus anciens de ces paysages le premier plan encore noir. Mais, peu à peu, ils le nettoient, ils l’éclairent, ils le démeublent, ils l’aèrent, ils lui donnent la valeur exacte qu’il a dans le paysage. Ils ne comptent plus, pour forcer l’attention, sur le contraste artificiel des valeurs.

Ils comptent sur la couleur et ils ont raison. Voyez le Paysage du Berry de Rousseau, placé entre la Toilette de Corot (n° 1) et les Oies de Troyon (n° 169) ou encore son Marais dans les Landes (n° 144). Quel miroitement, quel éclat de métaux en fusion ! Quel contraste avec les paysages des classiques : avec leurs verts faits de noir et de jaune, avec leurs violets faits d’ocre rouge et de noir, avec leurs bleus faits de noir et de blanc ! Ce sont des tons vifs, profonds, d’une richesse inouïe, dus à une étrange alchimie ; des glacis imperceptibles, puis de la peinture en pleine pâte, de seconds glacis sur la pleine pâte, puis des repeints sur les seconds glacis. Méthode fort hasardeuse ! Combien de toiles furent grattées, poncées, sacrifiées par le maître ? Combien de sites nouveaux édifiés sur des sites abandonnés ? Lui seul eût pu le dire. Mais qu’importe le moyen ? Pour la première fois, on voit, dans le paysage français, un ton à la fois juste et puissant, un modelé aérien, l’éclat transparent et la solidité des pierres précieuses.

Il était temps. Pour sentir combien cette trouvaille était nécessaire, il n’est que de regarder un Decamps. Précisément, il y en a un, ici, des plus typiques, un Decamps historique, pourrait-on dire, le triomphe du Salon de 1855, le Boucher