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il n’y en a pas, c’est-à-dire qu’il n’y a pas réunion arbitraire d’élémens pris dans des paysages différens et rapportés dans le même. Il y a le choix, si l’on appelle « choisir » s’arrêter au point précis d’où les lionnes se balancent et s’équilibrent le plus favorablement selon nos instincts physiologiques. Cette action de choisir est inévitable et n’a rien à faire avec l’action de composer qui est facultative. Quiconque écrit, peint, se promène, choisit un sujet, un objet ou un but. Il n’y a pas, là, plus d’idéalisme que de réalisme. Et comme après tout, Courbet ou Manet n’ont pas peint, non plus, tout ce qu’ils ont vu dans leur vie, comme il y a des millions de gens qu’ils ont croisés et dont ils n’ont pas fait le portrait et des millions d’arbres dont ils ont reçu l’ombre et qu’ils n’ont pas mis dans leurs paysages, on ne saurait dire qu’ils n’ont pas, eux aussi, choisi leur « réalité » aussi bien que d’autres leur « idéal. » Et comme enfin, il n’arrive pas tous les jours que nous voyons un Tueur de lions ou un Toréador mort, et s’il est vrai que tous les enfans ne se coiffent pas nécessairement d’un fez pour manger des cerises, on peut dire que le choix des sujets chez les peintres prétendument réalistes était lui-même très cherché et fort particulier. Ils ne les ont peut-être pas choisis parce qu’ils les trouvaient beaux, peut-être même les ont-ils choisis quelquefois parce qu’on les trouvait laids, et qu’ils voulaient faire peur aux « bourgeois » mais c’est un choix tout de même, et si l’on ne donne pas à celui des Courbet et des Manet le nom de « composition, » il n’y a guère plus de raison de le donner au choix que faisaient, avant eux, un Rousseau, un Corot ou un Daubigny. Tout ce qu’on peut dire de leur parti pris, c’est qu’au lieu de guetter la « nature » dans les villes ou dans la banlieue, ils allaient la chercher en pleine campagne, là où elle était le moins « dénaturée » par l’homme et qu’une fois en pleine campagne, selon une expression qui leur était familière, ils « savaient s’asseoir, »

Dans cette nature, que choisissaient-ils ? Un regard circulaire sur cette salle nous le dit. L’impression qu’il nous rapporte est une impression de nature calme, nourricière, bienfaisante. Nous ne voyons pas l’ossature du globe : pas de grands profils de montagnes, pas de formations géologiques, pas de révolutions atmosphériques, pas même de marines ; partout la terre et la terre unie ou légèrement ondulée, la terre nourricière de l’homme, herbue, feuillue, traversée d’eaux fécondes, où pâturent