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croyant maintenant qu’il est plus facile de paître les peuples que de régir des images, disant parfois : « Si j’étais roi..., » s’oubliant, — ou se retrouvant assez lui-même, — jusqu’à dire un jour à l’empereur : « Un Napoléon doit être de la famille des Antonins... » prononçant enfin, aux dernières heures de son agonie, les mots qui le révèlent : « Il faut que l’Harmonie Générale se l’établisse... Elle va venir... » Comme si, au moment de se confondre avec sa personnalité première, il renonçait à cacher plus longtemps l’identité de l’âme qu’il avait fait paraître parmi les hommes.

Dans son rôle de sylvain, Rousseau était plus absorbé que Millet. Millet avait pris la plaine, Rousseau avait pris la forêt, moins humaine, moins féconde, plus mystérieuse, plus identique à elle-même à travers les âges, rejoignant mieux de génération en génération le monde antique et son horreur sacrée. Il s’identifiait avec elle. Il s’y baignait. On ne le distinguait plus des choses. On le prenait pour une ruche. « Quand j’étais à mon observatoire de Belle-Croix, dit-il, je n’osais plus bouger, car le silence m’ouvrait le cours des découvertes. La famille des bois se mettait alors en action : c’est le silence qui m’a permis, immobile que j’étais comme un tronc d’arbre, de voir le cerf à son gîte et à sa toilette, d’observer les habitudes du rat des champs, de la loutre et de la salamandre, ces amphibies fantastiques. Celui qui vit dans le silence devient le centre d’un monde. Pour un peu, j’aurais pu me croire le soleil d’une petite création, si mon étude ne m’avait rappelé que j’avais tant de mal à singer un pauvre arbre ou une touffe de bruyère... » Telles furent les âmes de ces peintres, il y a cinquante ans.


III

Maintenant, quelle est leur œuvre ? Et puisque, ici, cette œuvre est surtout celle du paysagiste, en quoi leur paysage, — le paysage de Barbizon, de l’Isle-Adamou de Ville-d’Avray, — c’est-à-dire le paysage de notre grande école française, en 1860, — diffère-t-il du paysage classique, auquel il succéda, et de l’impressionniste qui l’a suivi ? C’est ce que nous verrons nettement si nous considérons successivement sa composition, son dessin, sa valeur, sa couleur et sa facture.

La composition d’abord. Dans les paysages que nous voyons,