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À LA GALERIE GEORGES PETIT
PEINTRES D’IL Y A CINQUANTE ANS


I

Il y a cinquante ans, un bonhomme chargé d’une grande boîte au dos, comme d’un sac de soldat, suivait souvent le chemin de Fontainebleau à Barbizon, à travers la forêt. C’était un marchand de couleurs qu’on appelait le Père Desprez. Sa boîte était remplie d’ocres, de laques, de couleurs animales et autres précieuses « vessies. » Il allait tâcher de les écouler chez quelques peintres qui habitaient alors la lisière de la forêt, là où commence la plaine de Bière. La route est longue de la ville au village et le Père Desprez avait le temps de songer. « Il y a longtemps que je n’ai rien vendu à M. Millet ni à M. Rousseau. Ils me prendront bien mon ocre jaune, ma terre d’ombre brûlée, mon blanc d’argent et un flacon d’huile grasse. Si M. Troyon est là, il m’achètera un peu de laque rose et de jaune indien. Il faudra voir les cliens du Père Ganne. Ça serait bien malheureux si aucun de ces bons messieurs n’était là, ni M. Jacque, ni M. Aligny, ni ce monsieur dont j’oublie le nom, qui a une jambe de bois et qui me prend tant de jaune de Naples… » Et le bonhomme allait son chemin, qui est un des plus beaux sur terre, passant entre les hauts troncs des futaies, puis descendant et remontant la Gorge aux Néfliers, faisant sonner sous sa canne les cailloux d’Apremont, enfin foulant le tapis silencieux du Bas-Bréau. Il y a des fées dans la Forêt de Fontainebleau. De temps immémorial, leur baguette d’or troue le haut dais des chênes, touche le menu peuple des fougères et