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disait à ses soldats : « En me séparant d’une armée, modèle d’honneur et de courage, dans les rangs de laquelle j’ai passé les plus beaux jours de ma vie, je ne puis que lui souhaiter de nouveaux succès. » Il disait aux habitans : « Soumis à la volonté nationale, je pars aujourd’hui. Mais, du fond de l’exil, tous mes vœux seront pour votre prospérité et pour la gloire de la France que j’aurais voulu servir plus longtemps. »

Comme tout cela est d’une grande allure, inspiré par le plus haut sentiment du devoir ! En lisant ces phrases simples et fortes, Cuvillier-Fleury dut être content de la fermeté romaine dont son élève donnait un si rare exemple. Frappé du coup le plus inattendu en pleine jeunesse et en pleine gloire, passant en quelques heures de la situation la plus digne d’envie à toutes les amertumes de l’exil, le prince se raidissait pour ne laisser échapper aucune récrimination, aucune plainte. Il acceptait le fait accompli sans adresser de reproche à personne. Son âme dominait les événemens comme le faisaient ces stoïciens dont son précepteur lui avait souvent cité l’attitude et les paroles. Il ne regrettait ni les honneurs, ni le pouvoir ; il regrettait uniquement les admirables soldats au milieu desquels il vivait depuis neuf ans, qui lui inspiraient, lorsqu’il les commandait, tant de confiance et tant d’orgueil. Sa pensée les suivit fidèlement dans cette rude et glorieuse campagne de Crimée où beaucoup d’entre eux continuaient leur vie militaire, où les généraux d’Afrique Saint-Arnaud, Bosquet, Canrobert, Pélissier, Mac Mahon tenaient le premier rang. Le Duc d’Aumale pouvait dire sans vanité en quittant son commandement, qu’il léguait à la France une armée de 100 000 hommes, disciplinés et braves, préparés par lui à affronter tous les dangers, à conquérir toutes les gloires.


A. MÉZIÈRES.