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mauvaise humeur du maréchal Bugeaud devenu jaloux de la gloire du prince. On reprochait à celui-ci de n’avoir pas de système de colonisation. — Heureusement, répondait-il, c’est bon pour les polytechniciens de professer des théories préconçues ; moi, je m’en tiens à la pratique. — Un grand événement marqua le début du gouvernement du Duc d’Aumale, la prise d’Abd-el-Kader. Là encore il fut exposé à quelques critiques. On reprochait à Lamoricière d’avoir accepté les conditions que l’Émir mettait à sa soumission, la promesse qui lui avait été faite de le transporter à Saint-Jean-d’Acre ou à Alexandrie. Très loyalement, très courageusement, malgré les criailleries d’une partie du public et l’hésitation du gouvernement, le prince couvrait son subordonné. Après tout, ne venait-on pas d’obtenir un résultat inespéré ? Qui aurait osé prévoir un mois auparavant que la question du Maroc serait terminée et que le grand chef des Arabes en serait réduit à se réfugier en Egypte ? — Il pourra en revenir, disaient les mécontens. — S’il en revient, répondait le Duc d’Aumale, ce ne sera plus en prétendant, ce sera en aventurier. Vous nous reprochez d’avoir traité avec lui, Qu’auriez-vous donc dit si nous l’avions laissé échapper en le poussant à bout ? — Le prince conservait un souvenir profond de la dignité avec laquelle le vaincu était venu lui amener son dernier cheval et se soumettre à lui dans le petit jardin du commandant de place de Nemours, en présence de Lamoricière et de Cavaignac. Il racontait volontiers cette scène émouvante que Gérôme a reproduite dans un des bas-reliefs du monument élevé au Duc d’Aumale par la reconnaissance des habitans de Chantilly. Le récit qu’on en trouve dans la Conquête de l’Algérie de Camille Rousset a été dicté par le prince et envoyé de Bruxelles à l’historien.

Après ce grand succès, le prince reprenait l’œuvre de la colonisation en essayant de modifier les habitudes nomades des indigènes et de les attacher au sol, lorsque survint la révolution de Février ; le 2 mars 1848, le Moniteur parvenu à Alger annonçait la nomination du général Cavaignac comme gouverneur général. A la nouvelle des événemens, le prince de Joinville qui commandait la flotte et se trouvait à Alger auprès de son frère n’hésita pas plus que lui. Tous deux s’inclinèrent sans une minute d’hésitation. Le volume publié par M. Henri Limbourg se termine par les nobles adieux que le duc d’Aumale adressait, le 3 mars 1848, à l’armée et à la population civile de l’Algérie. Il