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quoique ce fût un poste de soldat plus qu’un poste administratif, il ne l’avait pas désiré. Mais dans cette belle armée d’Afrique qu’il aimait et qu’il admirait sincèrement il avait remarqué avec tristesse sur certains points un relâchement de principes qui ne lui permettait pas de refuser ce qu’on lui offrait. En face de quelques défaillances il ne lui paraissait pas inutile qu’un prince donnât l’exemple de l’abnégation, du dévouement au devoir, de l’esprit de discipline. Cuvillier-Fleury lui avait si souvent répété que ses convenances personnelles devaient passer après tout le reste, il sentait si bien lui-même la justesse de ce conseil qu’il n’hésita pas à se sacrifier de nouveau. Il en était récompensé par la confiance que lui témoignait la population civile et par la sympathie des soldats. Le gouverneur seul faisait quelquefois exception par une espèce de jalousie qu’il ne parvenait pas toujours à dissimuler. Le commandement des deux subdivisions était le prélude du poste supérieur pour lequel l’opinion publique du pays et de l’armée désignait depuis quelque temps le Duc d’Aumale. Personne ne connaissait mieux que lui l’Algérie, personne n’y avait mieux marqué sa place comme soldat et comme administrateur. Au prestige de ses succès personnels s’ajoutait la qualité de fils du Roi. Il tirait de son rang une grande force morale auprès des Arabes amoureux du panache, auprès des colons qui comptaient sur son crédit pour servir leurs intérêts, auprès du Parlement lui-même, plus disposé à le ménager qu’un autre. Aussi sa nomination comme gouverneur général fut-elle accueillie de toutes parts avec satisfaction. Quant à lui, il acceptait le poste d’honneur auquel on l’appelait en esprit sérieux qui ne se dissimule pas les difficultés de la tâche, qui ne s’en fait pas accroire sur l’agrément qu’il en retirera, mais qui ne se sent pas le droit de se dérober par crainte des soucis et des responsabilités inséparables de la fonction. Le 26 septembre 1847, il écrivait à la reine des Belges : « Je pars sans illusions comme sans découragement, dévoué comme toujours à mon pays et à ses institutions dont je saurai accepter toutes les conséquences. Je ne vais là ni en victime, ni en triomphateur, mais en bon citoyen qui sait ce que l’on peut essuyer de déboires et ce qu’on peut obtenir d’honneur quand on sert un peuple libre. »

Les déboires ne manquèrent pas au début, sous forme d’articles de journaux qu’on croyait quelquefois inspirés par la