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Biskra trois officiers laissés à la tête des indigènes ont été massacrés par leurs soldats. La répression ne s’est pas fait attendre. En vingt-quatre heures, le Duc d’Aumale informé rassemblait 800 mulets pour porter des vivres, prenait la route de Biskra avec 500 chevaux et y arrivait comme un coup de foudre, après avoir fait trente-cinq lieues en trente-six heures. La rapidité et le succès de cette expédition, dont on ne connaissait du reste qu’imparfaitement les détails, n’empêchaient pas les langues d’aller leur train et les journaux d’opposition de répandre des nouvelles alarmantes. Cuvillier-Fleury, toujours à l’affût de ce qu’on pouvait dire de son élève, entendait des propos qui le troublaient profondément. Dans le monde parlementaire, à la Cour, parmi les officiers, on murmurait de temps en temps à son oreille que le prince était intrépide à coup sûr, d’une bravoure éclatante, mais peut-être bien jeune pour administrer une province. Il enregistrait ces propos avec tristesse, et il les envoyait en Algérie, afin que le Duc d’Aumale sût à quoi s’en tenir, sans se faire d’illusions sur la mobilité du sentiment public. C’est dans ce rôle de rabat-joie qu’il est le plus courageux et le plus utile. Rien de plus commode que d’admirer et de faire des complimens. Mais crier casse-cou, dire au besoin des vérités désagréables, voilà ce qui est difficile et méritoire. Cuvillier-Fleury s’acquittait de cette tâche en conscience. Il ne voulait pas que le fils du Roi ignorât combien la situation privilégiée de prince, de général, de gouverneur de province rendait le public exigeant à son égard. Dans les premières campagnes d’Algérie on avait beaucoup pardonné à l’inexpérience du commandement, on pardonnerait peut-être encore à des généraux obscurs. Mais à un prince jeune, tel que lui, on ne permet que le succès. Pour demeurer populaire, il est condamné à réussir toujours.

Dans d’autres circonstances, le prince eût peut-être été ému par la sévérité de l’avertissement. Mais il fait tout ce qu’il peut, il passe ses journées au travail, il touche du doigt les résultats qu’il obtient, il a pour lui le témoignage de sa conscience et il répond aux inquiétudes de son maître avec la plus souriante des philosophies.

Qu’importent quelques articles de journaux et les vaines agitations des Parisiens ! ce n’est pas de ce côté-là que le Duc d’Aumale écoute. Il tend l’oreille pour saisir les bruits qui viennent du côté du Maroc. Les tribus marocaines ont-elles été