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l’histoire des guerres anciennes et modernes, le plus audacieux des coups de main allait réussir par l’énergie d’un homme. Le Duc d’Aumale renouait la tradition des grands ancêtres, de ces merveilleux soldats de la Révolution et de l’Empire qui ne comptaient pas le nombre de leurs ennemis. Que de fois au Palais-Royal ou aux Tuileries il avait entendu Marbot raconter leurs prouesses ! Sa jeunesse avait été bercée de récits et de souvenirs héroïques. Il n’avait d’autre part qu’à jeter un coup d’œil sur l’histoire de sa famille pour y trouver des exemples nombreux d’intrépidité et d’audace. Une occasion s’offrait à lui d’agir en héros, il la saisit avec élan. Les études classiques dont il avait été nourri depuis son enfance lui rappelaient aussi qu’en campagne une troupe qui traîne avec elle des femmes, des enfans, des bagages, est hors d’état de résister à l’attaque imprévue d’un corps organisé. La Smalah d’Abd-el-Kader ressemblait en petit aux armées de Darius et de Xerxès. La cohue des non-combattans, leurs cris d’effroi et leur débandade paralysaient l’action des soldats. Ce fut l’affaire d’une heure et demie. Les six escadrons passèrent comme une trombe au milieu des tentes renversées, sans rencontrer d’autre résistance que celle de groupes isolés qui ne réussirent pas à se former en ligne de bataille et qui furent sabrés les uns après les autres. A la fin de la charge, 300 cadavres jonchaient le sol et la ville flottante tout entière, — 30 000 personnes peut-être, — demandait grâce en se jetant aux genoux du vainqueur.

L’effet produit en France fut immédiat et immense. Toute la gloire conquise antérieurement en Afrique pâlissait devant cette action d’éclat. La grande renommée d’Abd-el-Kader, l’échec personnel subi par lui dans cette journée, augmentaient le prix de la victoire. On ne sut pas tout de suite que lui-même n’assistait pas au combat, mais on savait que tout ce qui faisait sa force et sa richesse était tombé entre nos mains. Les lettres de Cuvillier-Fleury indiquent par le menu l’impression ressentie dans les différens milieux à mesure qu’arrivent les détails. Le vendredi 26 mai, une dépêche télégraphique annonçait au Roi la prise de la Smalah. Il ne connaissait pas le sens du mot, il ne savait même pas ce que cela voulait dire. Le général Galbois lui ‘expliqua qu’il s’agissait de la maison militaire de l’Emir, de son escorte et de ses fidèles. « La Camarilla, » dit le Roi en riant. La dépêche interrompue par la nuit s’arrêtait à ces mots : « La