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que le Conseil des ministres donne en France à l’autorité royale. Dans ces conditions, si le vice-roi était assisté, éclairé, mis à couvert par le Conseil, s’il administrait le budget permanent de l’Algérie, s’il commandait les troupes, si tous les fonctionnaires civils étaient sous ses ordres, s’il ne dépendait que du Roi représenté par le Conseil des ministres, s’il n’avait à subir que le contrôle des Chambres, on pourrait à la rigueur offrir cette position à un prince. Quant à lui personnellement, il considère que ce serait un bien lourd fardeau, pour ses jeunes épaules.

Pendant que le prince roulait dans sa tête ces pensées graves, ces pensées d’homme d’Etat, l’heure approchait où l’homme d’action allait reparaître avec le magnifique élan de sa vingt-deuxième année. C’était au printemps de l’année 1843. Abd-el-Kader chassé successivement de tous les postes qu’il occupait, ne pouvant résider nulle part avec sécurité, avait conçu un plan qui s’adaptait aux habitudes nomades de sa race. Au lieu d’être fixe, sa capitale serait mobile. Il la transporterait avec lui sur la vaste étendue du territoire arabe, dans la montagne, dans le désert, partout où il jugerait bon de la conduire, pour la soustraire aux attaques des troupes françaises. Il groupait ainsi autour de lui une population errante de 20 ou 30 000 êtres humains qu’il appelait sa Smalah. 5 0)0 combattans dont 2 000 cavaliers formaient sa garde. L’automne et l’hiver précédens, Saint-Arnaud lancé à la poursuite de l’Emir n’avait pas réussi à l’atteindre. Le Duc d’Aumale reçut l’ordre de renouveler la tentative et partit de Boghar, le 10 mai, avec 1 500 fantassins, 3 escadrons de spahis et 3 escadrons de chasseurs d’Afrique. Le 16 mai au matin, laissant derrière lui ses fantassins, à trois ou quatre heures de marche, il avait poussé en avant avec sa cavalerie, lorsque Yusuf, qui s’était porté sur un mamelon plus élevé que les autres, vint avertir le prince que la Smalah était là. La prudence aurait conseillé d’attendre l’infanterie. On n’avait sous la main qu’une poignée d’hommes. Comment avec 500 cavaliers seulement pénétrer dans cette mer humaine dont les tentes s’étendaient à l’infini ! Il y eut un moment d’hésitation. L’Agha qui accompagnait la colonne s’était jeté à bas de son cheval et embrassait le genou du Duc d’Aumale en lui disant : « Par la tête de ton père ne fais pas de folie ! — Je ne suis pas d’une race où l’on recule, » répondit le prince.

Le sort était jeté, comme cela est arrivé plus d’une fois dans