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doses différentes l’élément militaire, l’élément civil, l’élément arabe. Le prince dont l’esprit travaillait ainsi, au commencement de 1843, méritait de devenir à son tour un des agens les plus actifs de la colonisation. Le décret qui le nomma plus tard gouverneur ne faisait que consacrer l’expérience qu’il avait acquise sur place, sa connaissance approfondie des hommes et des choses.

Il se mêlait en même temps à cette instruction précoce un sentiment de modestie tout à fait délicat, et la conscience très nette des difficultés que rencontrerait infailliblement celui qui aurait un jour la charge d’organiser l’Algérie. Le gouvernement se préoccupe de la succession que va laisser vacante le général Bugeaud lorsqu’il sera nommé maréchal et qu’il rentrera en France. Par qui le remplacer ? le Roi et le Conseil des ministres pensent au Duc d’Aumale qui a si bien réussi et qui paraît si au courant des choses africaines. Sans rien d’officiel, sans qu’il y y ait eu autre chose qu’un échange de vues entre les personnes, on se demande s’il ne serait pas opportun de créer en Algérie une vice-royauté à laquelle le prince serait appelé par une ordonnance royale. Le Duc de Nemours, tenu au courant des pourparlers, en informe son frère et lui demande ce qu’il en pense. Pas un instant le Duc d’Aumale ne se laisse éblouir par l’éclat du titre qu’on songe à lui conférer. Un vice-roi nommé par une ordonnance royale ne serait jamais à ses yeux qu’un gouverneur général, éminemment révocable, soumis à toutes les chances ministérielles. Ce rôle ne le tente en aucune façon. Il n’aurait dans ce cas aucune initiative réelle ; il pourrait être tenu en échec par les bureaux de la Guerre sans que sa responsabilité, qui n’en serait pas moins très grande, pût être mise à couvert par un conseil sérieux.

En dehors de sa propre personne, ce n’est pas là ce qu’il souhaite pour l’Algérie. L’essentiel n’est pas le titre. Qu’on nomme un gouverneur général ou un vice-roi, peu importe. Ce qui est nécessaire, c’est qu’une loi de l’Etat qui sera difficile à préparer, plus difficile encore à faire adopter par les Chambres, organise en Afrique un gouvernement régulier. Le vice-roi institué par une loi, non par une ordonnance, devrait être entouré d’un Conseil composé des chefs de service les plus distingués. Ce Conseil, dont les attributions seraient d’avance bien définies, donnerait à l’autorité du vice-roi à peu près les mêmes garanties