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aura une province à administrer ; il s’y prépare déjà et il sait comment il frappera les imaginations des Arabes en leur montrant, non pas un chef ordinaire, mais le fils du Sultan des Français. — Bravo ! lui écrit alors Cuvillier-Fleury dont je résume les impressions. Nous finirons par nous entendre. Vous avez une tendance infiniment honorable et respectable à vous considérer comme le fils de vos œuvres. Mais ce n’est pas sous cet aspect que vous devez apparaître aux populations. Pour que vous puissiez exercer sur elles toute l’influence à laquelle vous avez droit, il est nécessaire qu’elles voient en vous plus que le chef, plus que le général, le Prince, émanation de la dignité royale.

La réponse très longue et très réfléchie du Duc d’Aumale nous révèle quelle était, à moins de vingt et un ans, l’extraordinaire maturité de son esprit. Il se rend très bien compte qu’une petite affaire conduite avec vigueur conviendrait mieux à son tempérament et lui rapporterait plus de gloire que l’administration sage et patiente d’une province. Mais il ne se croit pas le droit de dédaigner un travail de ce genre, il mettra même son ambition à le bien exécuter. La province de Tiltery était parfaitement administrée par les Turcs. Il ne sera certainement pas impossible de faire mieux qu’eux en s’occupant davantage du bien-être des administrés, en leur ouvrant des voies de progrès vers lesquelles le fatalisme de la religion musulmane ne leur permettait pas de s’orienter. Sur cette pente, assuré de la discrétion de son correspondant, le prince se laisse aller aux confidences les plus intimes, en lui disant ce qu’il pense du général Bugeaud et comment il comprendrait pour son compte personnel l’organisation de l’Algérie.

Le général a fait des choses excellentes ; aucun de ses prédécesseurs n’a obtenu des résultats comparables à ceux qu’il vient d’obtenir en moins de deux ans. Seulement, cet homme de guerre admirable a un défaut ; au lieu d’administrer en résidant à Alger, — ce qui serait son rôle, — il veut conduire lui-même les expéditions militaires pour augmenter sa renommée par des bulletins de victoire et obtenir plus tôt la dignité de maréchal à laquelle il aspire. Qu’on le fasse donc maréchal tout de suite ! écrit le Duc d’Aumale. Nous serons plus libres ensuite d’organiser l’Algérie comme nous l’entendrons. Il esquisse à ce propos un plan d’organisation générale dans lequel il ferait entrer à