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entrait alors dans une phase décisive. Les atermoiemens, les hésitations des années antérieures faisaient place à une vue plus nette des intérêts français. Ne pouvant abandonner l’Algérie après tant de sacrifices et de si glorieux efforts, on commençait à comprendre qu’on ne pourrait y vivre en paix qu’à la condition de la soumettre tout entière et de n’y supporter à côté de soi aucune autorité étrangère. Bugeaud si mal informé, si mal engagé au début, regrettait amèrement la puissance qu’il avait laissée à Abel-el-Kader, par le traité de la Tafna, et ne songeait qu’à la lui reprendre. Pour réussir, il se décidait enfin à renoncer aux petites garnisons disséminées, trop exposées aux surprises des Arabes lorsqu’il s’agissait de les ravitailler, trop exposées aussi, dans leurs campemens rudimentaires, à l’invasion de la fièvre. Rentré en Algérie avec un plan de vigoureuse offensive, il voulait concentrer ses forces sur des points déterminés d’où il ferait rayonner à une grande distance autour de lui des colonnes mobiles. « Les fusils, disait-il, ne commandent qu’à trois cents mètres, les jambes commandent dans un rayon de quarante à cinquante lieues. » Avec lui, on ne perdait pas de temps en préparatifs inutiles. Impatient d’agir, il entraînait tout le monde dans le mouvement rapide qu’il imprimait à ses troupes. Le 49 novembre 1842, le Duc d’Aumale arrivait pour la troisième fois en Algérie avec le grade de maréchal de camp. La mer était grosse, le vent debout. A cinq heures du soir, le bâtiment sur lequel il était monté mouillait devant le môle d’Alger. Le gouverneur allait au-devant de lui dans son canot. Mais la houle l’empêchant de monter à l’échelle, il lui criait de sa voix de stentor : « Je pars demain, voulez-vous en être ? » Le prince répondit oui sans une minute d’hésitation et se mettait en route dès le lendemain. Il en était quitte pour quarante jours de marche et quarante nuits passées au bivouac.

Si le prince n’écoutait que son goût personnel et l’instinct de sa race, il préférerait à tout les chevauchées aventureuses, les charges où l’on risque sa vie à la tête des hommes sous les balles des réguliers. Il n’en comprend pas moins la nécessité de remplir d’autres devoirs. Il n’est plus le cadet de Gascogne qui a besoin de faire ses preuves et de gagner ses éperons. Ses preuves sont faites. Il s’agit maintenant, dans le nouveau grade que lui a conféré le Roi et dans le poste où l’appelle le Gouverneur, de déployer des qualités administratives. A Médéah, il