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sous le drapeau français. Fatigues, maladies, dangers, tout disparaît dans le rayonnement de la lutte jet de la gloire qui s’annonce. Quelque chose qui vient de son maître le suit pourtant dès ses premiers pas et lui facilite sa tâche. Avant d’aller à l’ennemi, il a des discours à prononcer, des toasts à porter. Il le fait avec un à-propos et une aisance qui enlèvent tous les suffrages. « Voilà le résultat de mon enseignement, écrit aussitôt Cuvillier-Fleury. Je ne suis pas étonné que vous ayez réussi à bien parler. Vous l’aviez appris, presque sans vous en apercevoir, en récitant toutes les semaines vos rédactions historiques avec un aplomb qui me charmait. J’ai toujours pensé que ces épreuves vous serviraient un jour en vous rendant la parole facile, et en donnant à votre langage un peu de cette précision qui appartient à l’histoire, » La précision fut en effet la qualité dominante de tout ce que disait le Duc d’Aumale. Dans ses discours, dans sa conversation, comme dans ses écrits, ceux qui l’écoutaient reconnaissaient une préoccupation constante, le double souci d’être bien informé et d’être clair. Ajoutons-y un peu de panache, la noblesse de la pensée, de l’attitude et du geste. C’est encore Cuvillier-Fleury qui lui avait enseigné que « les princes ne doivent pas plus dire des choses vulgaires que porter des habits râpés. »

Quel émoi chez le précepteur lorsqu’il apprend que dans la campagne du printemps de 1841 le général Bugeaud, qui a reconnu la nécessité des colonnes mobiles, défend d’emporter des tentes et des couvertures. Comment le jeune prince supportera-t-il un régime si rigoureux ? C’est très bien de compter sur la force de l’âme pour soutenir le soldat français. La force de l’âme ne le réchauffera pas pendant la nuit. Elle a cependant une vertu. Car le prince, soumis comme tout le monde à cet ordre Spartiate, ne s’en est pas mal trouvé. Emmailloté dans son manteau militaire et dans ses imperméables, il a bravé impunément le froid humide des nuits. Pour rassurer complètement son précepteur et lui causer une joie, il lui raconte qu’il vient de faire colonne avec un colonel lettré, ancien prix de vers latins au concours général, et qu’il a lu un morceau d’Horace. Ces distractions littéraires ne sont que des hors-d’œuvre dans une série d’expéditions hardies. Le prince a ravitaillé Médéah et Milianah, il est cité à l’ordre de l’armée pour sa conduite aux combats des 3 et 4 avril, des 2, 3 et 5 mai, et nommé colonel