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des plus belles personnes de son temps, et il lui en coûtait cruellement de quitter sa fiancée pendant ces heures charmantes qui précèdent le mariage, que Goldsmith appelle le plus beau moment de la vie. Il convenait lui-même, qu’absorbé par sa passion, il ne prêtait pas toujours une attention suffisante à la conversation de ses compagnons de route. Le Duc d’Orléans avait beau lui exposer le magnifique programme qu’il rêvait pour l’Algérie, la conquête définitive et complète, la création d’une nouvelle France, achetée au prix du sang de nos soldats, mais destinée à être bientôt fécondée par le travail de nos colons. Cuvillier-Fleury écoutait respectueusement d’une oreille distraite. Il n’était pas d’ailleurs sans inquiétude, il se séparait pour quelque temps de son élève, et son cœur se serrait à la pensée des dangers qui menaçaient les chers princes, la maladie, la fièvre, les balles des Arabes.

Il ne reprit véritablement son assiette qu’au retour en France. Mais alors quel ardent désir de continuer l’œuvre commencée, d’exercer encore une action morale et intellectuelle sur cette âme, sur cet esprit d’élite que pendant douze années il a travaillé à former avec tant de dévouement et d’amour ! Les deux premières lettres publiées aujourd’hui sont relatives à des questions d’études agitées entre le maître et l’élève. Le maître a peur que l’activité physique qu’exige la vie militaire ne détourne l’élève du travail d’esprit régulier dont il lui a donné l’habitude. Il se rassure en recevant la réponse. Le Duc d’Aumale a organisé lui-même pour le temps qu’il passe en France tout un plan d’études : des mathématiques avec Guérard, de l’histoire avec Michelet, du droit avec Rossi et, par-dessus tout, des heures de réflexion et de méditation. Ainsi se prolonge au delà des premières années de l’éducation l’influence bienfaisante du précepteur. Le pli est pris désormais et ne s’effacera plus. A travers les incidens de la vie la plus active, dans les campagnes les plus dures, couché pendant des mois sur la terre nue, le Duc d’Aumale, tout en remplissant admirablement son devoir de soldat, réserve toujours des momens pour son Journal, pour la correspondance, pour la lecture, pour l’examen de conscience que doit faire chaque jour une âme élevée. Il a appris de bonne heure à distribuer son temps avec méthode, à n’en pas laisser perdre une parcelle.

Il a l’air d’être tout à l’Algérie et au commandement qu’il y