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Le maître a laissé une telle empreinte sur l’esprit de l’élève que celui-ci ne peut guère éprouver une joie ou un souci, sans en faire part à son ancien précepteur. C’est ce qui donne tant de prix à la correspondance du Duc d’Aumale et de Cuvillier-Fleury, que vient de publier, chez Plon, M. Henri Limbourg, un des exécuteurs testamentaires du prince. La première lettre porte la date du 2 juillet 1840. Le duc d’Aumale revient alors de sa première campagne où il a pris part à l’expédition de Médéah, où il a été cité à l’ordre du jour pour sa conduite au combat de l’Affroun et à la prise du col de Mouzaïa.

Dans la belle préface qu’il a mise en tête du volume, M. Vallery-Radot raconte en quelques pages alertes cette dernière et brillante action. Le Duc d’Orléans commandant simplement une division sous les ordres du maréchal Valée, mais forcé par l’inertie ou par la mauvaise volonté du maréchal de prendre lui-même la direction du combat. Les trois colonnes formées pour l’attaque, deux de flanc et une de front. Les soldats bondissant comme des chèvres à travers les broussailles pour atteindre les crêtes. Les deux princes suivant un étroit sentier sous le feu nourri des réguliers d’Abd-el-Kader. Puis, tout à coup sur les hauteurs la marche militaire de 2e léger annonçant que le mouvement tournant a réussi et qu’une des redoutes d’où l’ennemi fusille les nôtres vient d’être prise.

À ce moment survint un incident qui mit en relief la bonne grâce et l’entrain du duc d’Aumale. Le colonel du 23e léger, essoufflé de la course rapide qu’il venait de faire à pied avec ses soldats, tombait exténué au pied du col. En passant, le prince devine ce qui se passe dans l’âme de cet excellent officier, le chagrin de rester en route, de donner à son régiment le spectacle de son impuissance. « Prenez mon cheval, dit-il gaiement, j’ai de bonnes jambes, » et il rejoint à la course les grenadiers qui marchaient en avant des tambours. Cette scène émouvante se retrouve tout entière dans les notes rapides que le Duc d’Aumale appelait son Journal et qui seront sans doute publiées un jour.

Pendant ce temps, que devenait le précepteur ? Emmené ou plutôt traîné en Algérie par le Duc d’Orléans qui lui réservait un poste de confiance, il suivait le mouvement sans élan, on peut même dire avec un grand fonds de mélancolie. Une circonstance particulière lui rendait le voyage pénible. Il venait de se fiancer avec une délicieuse jeune fille, Mlle Henriette Thouvenel, une