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pas volontiers qu’on intervienne entre son élève et lui. Chargé provisoirement du petit Duc de Montpensier en même temps que du Duc d’Aumale, il a un jour maille à partir, au mois d’octobre 1829, avec Madame Adélaïde, sœur du Duc d’Orléans. La princesse lui ayant adressé quelques reproches un peu vifs sur la manière dont il élevait le plus jeune des deux princes, il envoya sur l’heure sa démission qui tomba dans le salon de Neuilly comme une bombe fulminante. Il fallut tout une négociation diplomatique et plusieurs négociateurs de marque pour faire revenir le précepteur sur la résolution qu’il avait prise ab irato. Le Duc de Chartres ouvrit le feu, suivi par son père et par la princesse elle-même. On invoque comme circonstance atténuante la nervosité de Madame Adélaïde, les défauts qu’elle tenait de l’éducation tracassière à laquelle elle a été soumise et des préjugés personnels dont elle ne pouvait se défaire. Cuvillier-Fleury, déjà ébranlé par l’argumentation des deux princes, ne résista pas à une visite de Madame Adélaïde, qui, sans s’excuser ni demander grâce, convint franchement qu’elle était de son côté aussi susceptible que son interlocuteur. En se confessant l’une à l’autre, ces deux susceptibilités finirent par se comprendre et par se réconcilier au bout de trois quarts d’heure d’entretien. Il fut bien entendu que, sans pouvoir répondre qu’ils réussiraient à se guérir des aspérités de leurs caractères, du moins ils n’avaient pas voulu et ne voudraient jamais se blesser l’un l’autre. À ce prix, ils conclurent une paix durable et devinrent les meilleurs amis du monde.

Dans son système d’éducation dont il a pesé tous les détails et dont il s’entretient souvent avec le grand éducateur du collège Sainte-Barbe, Victor de Lanneau, Cuvillier-Fleury ne craint pas de donner à l’enfant la nourriture intellectuelle la plus solide et la plus forte. Il ne fait, bien entendu, aucune objection à la liberté qu’on laisse aux jeunes princes et aux jeunes princesses de courir ensemble à Neuilly, de faire les foins, de grimper sur les meules, de récolter les pommes de terre, de grimper aux arbres fruitiers, de gauler les noyers. Ce sont les plaisirs d’été.

L’hiver, au Palais-Royal, il y en a d’autres, d’une nature plus sévère. Le Palais touche à la Comédie-Française où la famille d’Orléans peut pénétrer par une entrée particulière. Le précepteur en profite pour montrer au Duc d’Aumale quelques pièces du répertoire. Il le conduit aux représentations de Zaïre,