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leçons de dignité, de noblesse morale et de courage qu’ils nous donnent. S’étant fait à leur image une âme fière et forte, il ne cessait de développer chez son élève le goût des vertus mâles. Quels sont les écueils des éducations princières ? La mollesse, la complaisance, l’adulation. On ne dit pas la vérité aux jeunes princes, on les flatte. Le commerce des écrivains latins leur apprendra à exercer sur leur pensée une discipline sévère, à démêler le vrai du faux. Il les armera contre le mensonge des apparences par ce besoin de clarté et de précision qui est le propre du génie romain. L’histoire d’un grand peuple dont le ressort principal a été l’énergie offre des exemples de fermeté qu’il n’est pas inutile de placer fréquemment sous les yeux de la jeunesse. On lui enseigne ainsi à ne redouter ni l’effort ni la lutte ; on lui montre qu’il ne faut jamais se laisser abattre par les événemens, que le prix de la vie appartient en général au plus résistant ou au plus brave. Quelle leçon de choses que l’attitude des Romains après la bataille de Cannes ! Comme il est bon d’habituer un jeune prince élevé sur les marches du trône, qui commandera peut-être des armées, à ne jamais désespérer de la fortune ! Tous ces aperçus moraux ressortaient de l’enseignement de Cuvillier-Fleury sans qu’il eût besoin d’y insister. C’était comme la trame de sa pensée. On en trouvera la trace dans beaucoup de ses lettres ainsi que dans celles de son élève. Il y a entre eux comme une habitude de penser stoïquement. S’ils ont à se consulter sur un parti à prendre, tous deux inclinent presque en même temps vers le plus énergique, vers celui qui fait le plus d’honneur à la nature humaine.


I

En attendant l’essor des grandes pensées, voyons le maître et l’élève dans le terre à terre de la vie quotidienne. Le Duc d’Aumale n’a que six ans lorsque Cuvillier-Fleury entre chez son père ; mais dès ce moment, le précepteur établit une règle dont il exige l’observation et que les parens sont les premiers à respecter. Leur scrupule est même si grand à cet égard que la Duchesse d’Orléans ayant un jour demandé à un des précepteurs une dérogation sans pouvoir l’obtenir, s’excusait presque de l’avoir essayé. En ce qui concerne l’exercice de ses fonctions, Cuvillier-Fleury, tout déférent qu’il soit pour la famille, n’accepte