Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La croisade où s’engagea ce descendant des anciens preux n’aura pas été inutile...

Sur le petit lit de camp où il reposait, nous l’avons revu une dernière fois le rare écrivain, le poète inspiré qui si souvent, de son verbe somptueux, nous avait versé chaleur et lumière. Comme si elle n’avait pas osé le regarder en face, la mort l’avait pris traîtreusement, elle l’avait lâchement poignardé par derrière. Mais en le quittant, elle avait répandu sur toute sa personne une noblesse sereine, une majesté extraordinaire. Ces yeux qui s’étaient remplis de tant d’images et de visions diverses, qui avaient projeté tant de regards émerveillés sur. le monde, s’étaient clos sur des pensées de paix. Sur la poitrine, la médaille militaire, la seule décoration qu’il portât et dont il fût fier, rappelait la grave idée qui, toujours présente, avait dominé sa vie. Les deux mains s’étaient rejointes pour atteindre le crucifix, terme lointain de son long effort vers les vérités éternelles. On songeait aux ancêtres qui l’attendaient, couchés sur leur tombe de pierre, sûrs d’avance qu’après une vie tout entière passée dans la mêlée des idées, il reviendrait dormir son dernier sommeil à leurs côtés. Avec des armes toutes modernes, il avait combattu le bon combat qu’ont livré ses pères. Comme eux il s’était croisé, comme eux il avait chevauché sur les routes de Palestine, et, comme eux, il avait rapporté d’Orient les hautes leçons d’idéalisme moral et religieux qui ont fait si longtemps prospère la patrie de saint Louis et de Jeanne d’Arc.


VICTOR GIRAUD.