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pour la conduite de la vie est limité .[1]. » Il y a plus : à qui voudrait suivre jusqu’au bout et transporter dans l’ordre humain, où elles n’ont que faire, les indications fournies par la science positive, les notions les plus élémentaires de la vie morale deviendraient bien vite étrangères ; la science, comme la nature qu’elle interprète, suggère l’immoralité. « Qu’on relise les articles du symbole scientifique ; ils semblent inventés pour servir de préambule au code du despotisme et de la violence ; ils peuvent justifier toutes les férocités de l’égoïsme, tous les caprices de la force heureuse. » Si donc nous voulons que notre civilisation contemporaine, fondée en grande partie sur les données de la science, ne retourne pas, comme elle n’y a déjà que trop de pente, à la barbarie primitive, il nous faut lui donner un correctif extérieur et supérieur à elle-même, et, de toute nécessité, recourir à un principe moral. « Ce principe moral,... qui peut seul donner un fondement solide à la notion du devoir, on le chercherait en vain dans tout le monde des idées rationnelles ; l’humanité ne l’a jamais ressaisi que dans le fort où il réside, dans le sentiment religieux[2]. » Et ainsi, en dépit des malentendus actuels qui séparent les partisans exclusifs de la « science » des partisans exclusifs de la « religion, » voici que, de proche en proche, nous sommes ramenés à l’idée d’une réconciliation future et souhaitable et possible entre le christianisme et la science. Et l’on sait en quels termes d’une haute poésie symbolique et d’une rare éloquence E.-M. de Vogüé a conté la vision qu’un soir de juin 1889 il crut avoir au sommet de la Tour, à la suite d’un imaginaire et douloureux dialogue entre les « vieilles tours abandonnées » de Notre-Dame et leur orgueilleuse rivale d’aujourd’hui :


En m’arrêtant au premier palier, je reportai encore une fois mes regards sur le sommet. Les deux bras lumineux s’étaient relevés dans l’espace, ils continuaient leurs évolutions. Pendant une minute, sur le ciel noir dont ils semblaient toucher les bornes, il me sembla qu’ils traçaient une croix éblouissante, gigantesque labarum. Le signe de pitié et de prière était dressé sur la tour par cette lumière neuve, par la force immatérielle qui devient là-haut de la clarté. Durant cette minute, la tour fut achevée ; le piédestal avait reçu son couronnement naturel.

  1. La Ligue démocratique des Écoles, dans la Revue du 1er mai 1893, p. 222. — En rapprocher le très beau Préambule du livre intitulé : Un Siècle, mouvement du monde de 1800 à 1900. Paris, H. Oudin, 1901.
  2. Remarques, p. 259, 260.