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et de chaleur de cœur que l’ironie dénigrante. Il faut aimer son siècle pour agir sur lui. « Car c’est un très grand siècle, — écrivait déjà l’essayiste des Affaires de Rome, — n’en déplaise à tous les cœurs qu’il a froissés dans de chères habitudes ; bien aveugles ceux qui le quitteront sans être fiers d’y avoir vécu ! » Les Remarques sur l’Exposition sont, à bien des égards, le commentaire et la justification de ces lignes.

Cet optimisme s’étend jusqu’à l’ordre politique et social. E.-M. de Vogüé n’a aucun goût pour « la séculaire et lamentable procession des émigrés à l’intérieur : » « notre chère France nouvelle » ne lui est pas moins chère que « notre chère France royale : » il accepte sans maugréer, et même avec un certain entrain, les conséquences de fait de l’œuvre révolutionnaire ; la formule républicaine ne le gêne en aucune façon ; l’avènement de la démocratie lui paraît chose non seulement logique et inéluctable, mais heureuse ; il se contente, sur ce chapitre, d’exprimer le vœu si sage de Littré et de Stuart Mill : « c’est qu’en démocratie il importe de reconstituer, non une aristocratie fermée, ce qui est impossible, mais une aristocratie ouverte, et de lui emprunter tous les correctifs qu’exige la domination démocratique. » Enfin il ne peut partager la défiance que le suffrage universel inspire à tant de gens, y compris « ses serviteurs les plus empressés : » « J’ai moins mauvaise opinion, déclare-t-il, de l’épouvantait, à la condition qu’on n’y recherche pas un ressort régulier de gouvernement, mais une sorte de régulateur mystique des autres ressorts, au sens de l’adage : Vox populi, vox Dei. »

Est-ce à dire que tout soit bon et parfait dans ce monde moderne, tel que nous la fait la Révolution d’une part et le développement scientifique d’autre part ? Bien naïf ou bien aveugle qui voudrait le prétendre. Certes, la science est une grande et noble chose, et pour en célébrer les conquêtes, pour en définir la méthode et l’esprit, l’auteur des Remarques a plus d’une fois trouvé des paroles dont les savans de métier, nous le savons, ont vivement goûté la fine et souvent divinatrice justesse. Mais la science a ses limites ; ses pouvoirs expirent au seuil du monde moral. Là commence un nouveau domaine, un « ordre » nouveau au frontispice duquel il faudrait écrire : Que nul n’entre ici, s’il n’est que géomètre. Il serait puéril de le nier, « si le développement de la science est indéfini, le secours qu’elle dispense