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Il le voyait reconquérant le monde anglo-saxon et le monde slave, passant les mers, civilisant et baptisant les innombrables peuplades des nouveaux continens découverts, unique pouvoir spirituel des temps nouveaux, seule doctrine ayant survécu à la ruine de toutes les autres doctrines, et seule capable de fournir à l’humanité renouvelée l’abri moral dont elle aura toujours besoin. Et il saluait, dans le pape Léon XIII, « le plus grand homme de ce temps, » le plus généreux ouvrier de cette œuvre d’avenir...

Cette philosophie religieuse, dont il est à tout le moins difficile de contester la noblesse, c’est celle qu’on retrouve au fond de la suite d’essais qu’E.-M. de Vogüé a publiée en 1889 sous le titre, peut-être trop modeste, de Remarques sur l’Exposition du Centenaire. Ce livre, qui n’a pas eu tout le succès qu’il méritait, est l’un des plus significatifs qu’ait signés l’auteur du Roman russe. Une grande Exposition, c’est l’inventaire de l’humanité dressé par elle-même au point précis de civilisation où elle est parvenue. Il n’est pas de « spectacle contemporain » plus complet et plus instructif pour l’observateur philosophe. Il a en main toutes les données nécessaires pour porter sur sa propre espèce le jugement d’ensemble qu’elle semble solliciter de lui. C’est ce qu’E.-M. de Vogüé a fort bien compris : ses Remarques sur l’Exposition sont son « examen de conscience philosophique, » la « somme » de sa pensée à cette date sur le monde et sur l’homme. Dans ce « journal d’un étudiant, » il manifeste une fois de plus une variété de culture et une active curiosité d’esprit dont on ne trouvera pas beaucoup d’exemples. Tout l’attire et tout le retient, tout l’intéresse ou l’amuse dans cette immense foire aux idées et aux faits : découvertes industrielles ou géographiques, sciences ou arts, études sociales ou économiques, politique ou littérature, histoire ou ethnographie, il s’informe de tout, et sur toutes choses il émet des réflexions ingénieuses ou piquantes, discutables ou paradoxales parfois, souvent profondes. Jamais peut-être un homme n’a fait de meilleure foi un effort plus libre, plus soutenu et plus heureux pour comprendre tout son temps, pour en accepter toutes les tendances, pour le juger avec plus d’optimisme. Cet optimisme ne va-t-il pas jusqu’à poétiser la Tour Eiffel ? Je n’ai garde de le lui reprocher ! En pareille matière, l’optimisme, même excessif, implique plus de générosité, plus d’ouverture d’intelligence