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infatigablement. Et si, de préférence à toute autre, E.-M. de Vogüé, comme son ami Brunetière, a choisi cette forme de l’essai, c’est que, plus que toute autre, elle est celle qui convient aujourd’hui à celui qui veut agir par la plume. Où est-il le temps où, pour soulever des tempêtes, il ne fallait rien moins que des in-folio, comme l’Augustinus par exemple, et où il se trouvait des gens comme Pascal, pour déclarer que l’ouvrage n’était point « si gros » à lire ? Les lecteurs d’à présent, gens pressés, gens affairés, n’ont guère qu’une heure, quelquefois moins, à nous consacrer : le livre même, si modeste et réduit qu’il soit, les épouvante : ils estiment qu’en quelques pages on peut et on doit dire tout ce qu’on a d’important à leur dire : à nous de nous concentrer, de nous ramasser, de frapper juste et fort, au bon endroit, d’asséner d’une main sûre et pourtant légère les vérités essentielles que nous croyons avoir à formuler. Si nous y avons réussi, si, comme une flèche qui frappe le but, et dont le dard reste dans la plaie, l’idée que nous avons lancée s’est implantée dans l’esprit du lecteur, le poursuit et le hante aux heures de rêverie solitaire, notre tâche est remplie, — et nous pourrons recommencer demain. Il nous est arrivé à tous de médire de notre temps, de notre métier de journaliste ou d’essayiste, en songeant au livre durable que nous avons rêvé, commencé peut-être, au livre qui devra « tout dire, » — et que nous n’écrirons sans doute jamais. Soyons francs. Mettons à part, peut-être, les œuvres d’imagination. Les écrits qui ont le plus agi dans ce dernier quart de siècle, ce ne sont pas des « livres, » — le Roman russe lui-même n’est, à le bien prendre, qu’une suite d’essais, — ce sont des articles, des « extraits, » comme on disait très bien jadis : c’est l’article Après une visite au Vatican ; c’est, huit ans plus tôt, l’article que E.-M. de Vogüé, ici même, a publié sous le titre d’Affaires de Rome.

Je viens de le relire, cet admirable article, et qui vaut bien des livres, et j’en ai été peut-être encore plus vivement frappé qu’au premier jour. Avoir très nettement vu, dès ce moment-là, 1887, à un tournant difficile de l’histoire contemporaine, que l’Eglise n’avait rien à gagner à unir trop étroitement sa cause à celle de l’Allemagne bismarckienne, mais qu’au contraire, en se rapprochant de la France et en intervenant généreusement dans les questions sociales, elle risquait, à très brève échéance, de