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Ces lignes que Brunetière écrivait, au lendemain de la publication, resteront, je crois, sur le Roman russe, le jugement même de la postérité.


III

Le Roman russe n’est pas un livre de pure curiosité désintéressée ; c’est un livre d’action. La cause de l’idéalisme y était prêchée au nom de l’intérêt patriotique. Ce n’était pas seulement la France littéraire, c’était la France politique et sociale qui, dans la pensée de l’écrivain, devait bénéficier de ce rapprochement intellectuel entre les deux peuples ; et c’est en effet ce qui arriva[1], Mais poser ainsi la question, c’était prendre en quelque sorte l’engagement public de ne pas en rester là, de travailler, par tous les moyens en son pouvoir, à cette renaissance idéaliste dont E.-M. de Vogüé se faisait le théoricien et l’apôtre. Et cet engagement, il l’a tenu. Sans renoncer à la littérature d’imagination, — les Histoires d’hiver sont de 1884, le Manteau de Joseph Olénine est de 1889[2], — ni aux notes de voyage, il se fait surtout, et de plus en plus, essayiste. Non qu’il ne se fût déjà révélé sous cet aspect ; mais, nous l’avons dit, jusqu’au Roman russe, il s’était à peu près borné à l’essai historique. Il va désormais assouplir et élargir sa manière, et suivant que tel ouvrage ou telle question du jour attirera son attention, sollicitera sa curiosité, il en donnera son avis librement, dans une série d’essais, articles de journaux ou de revue qui, malheureusement, n’ont pas tous été recueillis en volumes, mais dont l’ensemble constitue l’une des œuvres critiques les plus variées, les plus originales et les plus brillantes de notre temps. A ne prendre que la partie portative de cette œuvre, ces livres aux titres somptueux et piquans, Souvenirs et visions, Spectacles contemporains, Regards historiques et littéraires, Heures d’histoire, on n’aura pas de peine à reconnaître une pensée singulièrement avertie, ouverte et accueillante à tous les problèmes, à toutes les initiatives que notre fièvre contemporaine enfante

  1. Voyez les Discours prononcés par MM. E.-M. de Vogüé, Tatischeff, etc., au banquet franco-russe du 26 octobre 1893 ; Paris, A. Colin, 1893.
  2. Ces deux morceaux publiés d’abord séparément, le premier à la librairie Calmann-Lévy, le second à la librairie Conquet, ont été réunis, à partir de 1893, dans le volume intitulé Cœurs russes (Armand Colin éditeur) : ce sont, sous forme de récits et nouvelles, de bien curieuses études de psychologie russe.