Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/299

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Connaît-on, dans la prose pittoresque du XIXe siècle, beaucoup de pages qui vaillent celle-là ?

Après l’Orient turc, l’Orient africain. Chargé d’une mission diplomatique en Egypte, E.-M. de Vogüé découvrit avec ravissement cette terre enchanteresse où il devait revenir souvent dans la suite, et qui lui inspirera quelques-unes des plus belles descriptions du Maître de la mer. Là, sous la direction de cet admirable Mariette, auquel, ici même, il a rendu un si émouvant et pénétrant hommage, il s’initie à l’égyptologie : au musée de Boulaq, à Saqqarah surtout, il a la révélation, que personne peut-être n’a plus éloquemment traduite, de cet infini du temps dont les découvertes historiques de notre époque nous donnent parfois le frisson. Car c’est toute une société, vieille de sept ou huit mille ans, qui, brusquement, surgit du sol : « pour peu qu’on les interroge avec patience, ces morts parlent, leurs ténèbres s’illuminent, un monde s’ouvre[1]. » D’avoir pénétré ce monde, et d’avoir éprouvé ce frisson, cela donne à l’esprit une hauteur et une largeur tout ensemble, auxquelles, sans cette expérience, il est peut-être difficile d’atteindre. Ce qui est sûr, c’est qu’E.-M. de Vogüé en a recueilli l’entier bénéfice.

Et après l’Orient africain, l’Orient slave. Dans le volume, trop peu connu, à mon gré, qui est intitulé Histoires orientales, et qui date de 1879, il y a une curieuse étude historique qui a pour titre : De Byzance à Moscou, voyages d’un patriarche. Ce voyage, E.-M. de Vogüé l’a fait pour son propre compte. Nommé secrétaire d’ambassade en Russie, il arriva à Saint-Pétersbourg au mois de décembre 1876. Là commencèrent pour lui six années particulièrement fécondes en enseignemens et en révélations de toute sorte. Par des voyages poursuivis en tous sens, par l’étude approfondie de la langue, de la littérature et de l’histoire, par l’observation attentive des mœurs et des caractères, par la pratique des hommes et des choses de son métier, il s’efforça d’entrer aussi profondément que possible dans l’intimité de ce monde russe dont il avait bien pu prendre comme un avant-goût, au cours de ses pérégrinations antérieures, mais qui ne laissait pas de lui être encore fort étranger, comme il

  1. Chez les Pharaons (15 janvier 1877), Histoires orientales, p. 13. — Le premier article que l’écrivain se proposait de donner à la Revue, si la mort le lui avait permis, était une étude sur l’état actuel des études égyptiennes. — Voyez, dans le Figaro du 6 mars 1908, son article sur le Scarabée de Karnak.