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des principaux écrivains d’Orient, Volney et Chateaubriand, Lamartine et Loti. C’est Chateaubriand, ce me semble, qu’il rappelle le plus. Loti est plus passif en face de cette nature orientale qu’il reflète avec un charme si insinuant. E.-M. de Vogüé, lui, domine ce monde extérieur qu’il évoque et fait passer sous nos yeux ; ses impressions de voyageur lui servent surtout de thèmes à méditations ; on y sent une pensée plus haute, plus virile, moins entraînée au flot des sensations et des images. Ce qu’il est allé chercher en Orient, c’est « le secret de l’histoire ; » c’est déjà aussi une réponse aux questions de l’heure présente ; c’est une leçon de volonté, d’énergie morale qu’il est allé demander à « ce pays, que tout homme doit venir interroger avant de formuler sa pensée définitive sur les grands problèmes de l’âme ; » et il lui « doit d’entrevoir la vérité divine et de sortir d’ici, malgré tout, fortifié, mûri et consolé[1]. »

Et certes, celui qui parle ainsi n’est pas un homme pour qui le monde intérieur seul existe. Il y a de très belles pages descriptives dans Syrie, Palestine, Mont-Athos : il n’y en a pas de plus belles que celle-ci, que j’emprunte à Vanghéli, la première nouvelle qu’E.-M. de Vogüé ait écrite, sorte de récit symbolique où il a « résumé les souvenirs de six années d’Orient : « 


Nous nous étions attardés à l’étape : la nuit nous prit tout en haut des pentes qui vont s’évasant jusqu’à la plage, une nuit de printemps mélodieuse et tiède tressaillant d’énergies sourdes qu’ignorent celles de nos pays, — une nuit où l’on sentait vivre les choses et les êtres d’une vie si ardente, si enivrée, que la mort et la peine semblaient bannies d’un monde plus heureux. Le petit chemin douteux se perdait dans les méandres des marécages qui continuent le lac ; des myriades de lucioles promenaient des essaims de flammes dans les roseaux, d’où montaient les chansons nocturnes des rainettes et des rossignols. Nous chevauchions au travers des bouquets de platanes, de lauriers et de chênes verts, guidés dans l’ombre par la voix des muletiers ; ces gens simples, gagnés insensiblement par cette majesté, reprenaient en chœur un lent refrain romaïque : nous les suivions, assoupis sur la selle dans un demi-rêve par la fatigue d’une rude journée ; nul cependant n’eut la pensée de se plaindre des heures allongées et de mesurer la descente des étoiles dans un ciel si doux. Il était minuit quand la lune décroissante, apparue sur les hautes crêtes de l’Olympe de Bithynie, nous montra la nappe reposée du lac : la ligne dentelée des remparts de Nicée moirait d’ombre le bleu des eaux[2].

  1. Syrie, etc., p. IX, 250, 236.
  2. Histoires orientales, p. 58-59.