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pour moi les premières, les inépuisables sources de l’enchantement du cerveau, des curiosités passionnées, des visions intérieures. » Ainsi débute un curieux opuscule d’E.-M. de Vogüé, ces Notes sur le Bas-Vivarais, dont l’éloquente dédicace, — « Montibus patriis... exul, » — dit assez l’intime, la profonde signification. Ces deux ouvrages, les Commentaires du soldat du Vivarais, « livre admirable de férocité candide, » et le romantique Album d’Albert du Boys « montraient à l’enfant le seul monde vrai pour lui, un monde merveilleux et conforme à ses rêves. » Quand un critique ami, Armand de Pontmartin, ne nous signalerait pas « la nature poétique et rêveuse » du futur auteur de Jean d’Agrève, il semble qu’à ces lignes, comme à bien d’autres signes, nous aurions pu la deviner. C’est là, à n’en pas douter, le fonds primitif, l’apport individuel et inaliénable. E.-M. de Vogüé est né poète, et il restera toujours tel.

Le poète est « exilé » parmi nous ; il n’est point « déraciné. » Voyez avec quelle joie il retourne à ses « montagnes paternelles, » à son « pauvre vieux berceau, » avec quelle émotion il salue « cette triste source de son sang, » en quels termes il décrit ce sol âpre et « nerveux, » combien il est heureux de noter « l’humeur indépendante qui fut de tout temps le trait caractéristique de cette race, » « race pauvre, modeste, mais solide et ardente comme sa montagne, où le feu couve sous le granit. » La rude Auvergne n’est pas loin, et déjà, un peu plus bas, le Midi commence, la Provence ensoleillée, toute palpitante de chaleur et de clarté. La griserie de ce vibrant soleil a gagné notre écrivain : « Pourquoi essayer, s’écrie-t-il, d’en faire comprendre l’ivresse aux gens du Nord ? Ils n’entendront jamais ce qu’il y a de délicieux et d’éperdu dans la plainte de nos cigales[1]. » Un Daudet n’aurait pas dit mieux : le complexe, ardent et chaud génie de ce coin de terre s’est communiqué à celui de ses enfans qui ne l’a jamais renié.

À cette influence toute générale il en faut joindre une autre, plus particulière et plus intime. On ne descend pas impunément d’une longue lignée militaire et féodale : le geste héréditaire se prolonge dans le petit-fils. Si tout ce qu’a écrit E.-M. de Vogüé, — et jusqu’à ses moindres billets[2], — au grand air, »

  1. Notes sur le Bas-Vivarais, p. 5-6, 8-9, 28-29, 85, 105, 51-52.
  2. J’espère bien qu’on recueillera quelque jour sa très abondante Correspondance : ce ne serait pas la moins belle de ses œuvres.