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Vaucouleurs et à Orléans, le péril était imminent ; le sort des deux contrées était analogue et le danger commun. Un effort sur ces deux places était décisif pour achever la conquête de tous les pays au nord de la Loire. Les Anglais et les Bourguignons l’avaient bien compris puisqu’ils employaient simultanément toutes leurs ressources disponibles et leurs meilleurs chefs : Talbot, Suffolk, Scales, d’un côté, Vergy et Luxembourg, de l’autre, à ces deux campagnes simultanées et, en quelque sorte, parallèles.

Au même moment, l’héritier présomptif du duché de Lorraine, René d’Anjou, duc de Bar, cédant à la pression de son beau-frère, Charles II, et de son grand-oncle, le cardinal de Bar, se laisse entraîner à prêter serment de foi et hommage pour ses terres relevant de la couronne de France au roi Henri VI (avril 1429). Tout manquait à la fois !

C’est dans ces circonstances émouvantes que Jeanne se décide.

Sa première démarche avait coïncidé avec l’annonce répandue que Vaucouleurs allait être attaquée ; elle précède la capitulation de Vaucouleurs. Jeanne, renvoyée rudement, comme on le sait, par Robert de Baudricourt, revient à la charge au début de l’année 1429 : c’est quelque temps après la capitulation suspensive. Orléans est assiégée depuis plusieurs mois. Les hostilités vont reprendre avec le printemps. Cette fois, Robert de Baudricourt, se sentant, comme le royaume lui-même, à bout d’espérance, consent à la laisser partir, non sans l’avoir gardée assez longtemps pour prendre sans doute les ordres de la Cour.

Sur l’avis de son parent Lassois qui, pour faciliter le départ de Domremy, l’avait amenée chez lui à Buxey, elle quitte sa cotte rouge, ses pauvres vêtemens de paysanne et revêt un habit d’homme. Baudricourt lui donne un cheval et une épée. Elle part, le 23 février 1429, pour Chinon, bien accompagnée.

Sa mission ayant cette origine, son propre témoignage doit être rappelé textuellement : « Interrogée, elle reconnaît ensuite que la voix lui disait deux ou trois fois par semaine qu’il fallait qu’elle, Jeanne, partît et vînt en France. Son père ne sut rien de son départ. La voix répétait qu’elle vînt en France ; elle ne pouvait plus tarder où elle était : la voix disait qu’elle ferait lever le siège d’Orléans[1]. La voix disait qu’elle allât à la cité

  1. Il y a ici une certaine incertitude dans la rédaction du greffier ; car Orléans n’était pas assiégée quand la voix conseilla, pour la première fois, à Jeanne d’aller en France.