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chez une aubergiste nommé La Rousse et où la jeune fille se confessa deux ou trois fois à des frères prêcheurs, dura quelques jours. Puis, on sut que les soldats avaient quitté le pays. On revint à Domremy. Une partie du village et l’église, voisine de la maison de Jacques d’Arc, avaient été brûlées. Les fugitifs ne trouvèrent que des ruines.

Le retour avait été possible, plus rapidement, peut-être, qu’on ne l’eût pensé, par suite d’une circonstance heureuse : Vaucouleurs ne fut pas prise. Un traité fut passé, probablement vers août 1428, entre le seigneur de Vaudémont et Robert de Baudricourt. Selon un usage très répandu à cette époque, ce fut une « composition pour la délivrance, » autrement dit une capitulation suspensive. On connaît l’existence de ce traité, si l’acte lui-même n’a pas été retrouvé jusqu’ici : Siméon Luce, dont l’abondante information est si souvent accompagnée de conjectures téméraires, a pensé que Robert de Baudricourt avait subordonné le sort de Vaucouleurs à celui de la place d’Orléans. Les dates sont contraires à cette hypothèse. Ce fut en octobre ou en novembre, au plus tôt, que la nouvelle du siège mis devant Orléans put arriver à Vaucouleurs[1].

L’impression causée par cette nouvelle n’en fut pas moins profonde. De près et de loin, en Lorraine et sur la Loire, à

  1. Certains écrivains, soucieux d’écarter toute cause « humaine » de l’inspiration de Jeanne d’Arc, nient qu’il y ait eu un siège de Vaucouleurs vers 1428. Or, s’il y a un fait patent, c’est celui de la coïncidence entre les événemens de juin-décembre 1428 et les premières démarches de Jeanne d’Arc. Nous sommes ici, au cœur du débat ; c’est pourquoi il y a lieu d’insister. On ne peut nier les mouvemens de troupes qui furent ordonnés pour s’emparer des places de la Meuse, et nommément de Vaucouleurs, à partir d’août 1427 ; on ne peut nier que toutes celles qui furent désignées dans le mandement de Henri VI furent prises. (Pour le détail relatif à chacune de ces places, voyez Pierre Champion, loc. cit., p. 16 et suiv.) ; on ne peut nier qu’il y ait eu dessein arrêté et mesures prises, spécialement pour le siège de Vaucouleurs. Le fait de la « composition, » ou capitulation suspensive étant également établi par les documens authentiques, il faut bien admettre qu’il s’est produit un événement donnant lieu à cette « composition » et ce ne peut être qu’un siège ou, au moins, une démonstration contre la ville, — ce qui explique le séjour d’ailleurs assez court des soldats ennemis dans la région. Cette trame de faits est, pour ainsi dire, indestructible : il n’y a plus d’histoire, si de telles preuves ne suffisent pas. Or, le premier mouvement de Jeanne d’Arc coïncide avec le bruit des préparatifs de la campagne ; l’angoisse intime qui l’émeut et la décide est exactement contemporaine de celle qui épouvante la contrée. La Pucelle fixe, dès lors, la date de la mi-carême de l’année suivante comme l’époque où un « secours » sera envoyé au Dauphin. Et cette date ne parait pouvoir répondre, dans sa pensée, qu’à celle qui a été assignée pour le solennel jubilé du Puy. Tout s’enchaine et aucun raisonnement ne peut détruire cette liaison si claire des événemens.