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Quand il fallut payer, les villageois ne purent le faire. Robert de Saarbrück prit des gages. Un débat judiciaire s’ensuivit. Les habitans de Domremy désignent plusieurs de leurs concitoyens chargés d’ester en leur nom et de se rendre auprès du capitaine de Vaucouleurs et des arbitres désignés par lui : c’est le curé Flament, c’est Jacques Morel de Greux et, enfin, Jacques ou Jacquot d’Arc[1]. La sentence arbitrale était encore pendante aux derniers jours de mars 1427.

Donc, un an avant l’époque où sa fille devait se porter, à Vaucouleurs, vers « la chambre du Roi, » vers cette juridiction d’où doit descendre, sur les pauvres manans du pays, la justice et le salut, le père de Jeanne d’Arc s’y était rendu lui-même ; il avait vu ses intérêts, son droit dépendre de ce Robert de Baudricourt, seul tenant de la cause royale dan ? toute la région : c’est à cette cour, c’est à cette « chambre » que lui et le village s’étaient adressés pour être sauvés de la ruine. Il est facile de deviner quels avaient été, pendant cette période de tourmens et de responsabilités, de 1423 à 1428, les entretiens de la veillée, écoutés avec une attention passionnée par l’enfant grandissante dont la vocation se décidait.

Ce Robert de Saarbrück qui avait causé tant d’émotions contradictoires dans le pays et jusque dans la maison de la Pucelle, celle-ci devait le rencontrer, plus d’une fois, au cours de sa rapide carrière. Les volte-face du seigneur brigand firent de lui, pour la cause que servait Jeanne, tantôt un ennemi, tantôt un allié. Après avoir lié son sort à celui du comte de Vaudémont, après s’être rapproché de Robert de Baudricourt, et s’être séparé de lui, il était rentré dans l’obédience de Charles VII, à la suite de René d’Anjou : il assista au sacre de Reims ; dans l’église même, il fut fait chevalier par le Roi, au pied de l’autel où Jeanne tenait son étendard.

Le sire de Commercy avait-il gardé le souvenir de l’humble paysan, garant du contrat de 1423, dont la fille lui valait les honneurs d’une si solennelle journée ?

Quelques jours après, quand Jeanne d’Arc, au comble de ses succès, quitta Reims pour se rendre à Saint-Marcoul de Corbeny, assister à la cérémonie où le Roi guérit les écrouelles, elle passa au pied du formidable château de Roucy qui appartenait

  1. La pièce, signalée par M. J. Chapellier, est publiée par M. Siméon Luce Pièces justificatives additionnelles (p. 359).