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l’absence de tout pouvoir efficace, il n’y avait plus guère d’autre ressource, pour les gens du plat pays, que de se mettre en la « sauvegarde » des seigneurs ou des partisans qui paraissaient les plus favorables ou les plus puissans.

C’est ainsi qu’on voit l’humble nom du père de Jeanne d’Arc se révéler à l’histoire. Un personnage qui, comme tant d’autres, oscille continuellement entre les deux partis, un très grand seigneur, dont le nom était connu et redouté, des rives de l’Aisne aux rives de la Meuse, Robert de Saarbrück, bâtard de Commercy, seigneur, par sa femme, de Roucy, Braine, Pontarcy, etc., était, au temps de l’adolescence de Jeanne d’Arc, très mêlé aux affaires de Lorraine et du Barrois. Après s’être déclaré, solennellement, en janvier 1423, pour la cause bourguignonne, et s’être engagé envers le duc de Lorraine et de Bar « à ne leur faire ni faire faire guerre ou porter dommage, » il s’était rapproché presque simultanément de la cause française, et les registres de comptes montrent les armées lorraines et barroises très occupées à l’attaquer dans sa place forte de Sampigny (mai 1424)[1]. Tantôt ami, tantôt adversaire déclaré de Robert de Baudricourt, il ne songe qu’à tirer profit de cette position habilement ménagée[2].

Justement, à cette époque, les gens de Domremy, menacés des deux côtés à la fois, avaient besoin d’une « protection ; « on avait des moyens de leur imposer cette conviction. Ils crurent ne pouvoir mieux faire que de s’adresser au redoutable seigneur, et, le 7 octobre 1423, ils signèrent, à Maxey-sur-Meuse, devant le notaire de l’official de Toul, un contrat de « sauvegarde » avec Robert de Saarbrück. Ils s’engagèrent à lui payer tous les ans, à titre de « garde, » un droit de deux gros par feu entier et d’un gros par feu de veuve, le tout formant une redevance globale de deux cent vingt écus d’or. Tous les habitans notables de Greux et de Domremy se portèrent fort les uns pour les autres. Or, parmi ces notables, l’acte mentionne, après le maire et l’échevin de Domremy, « le doyen » Jacques d’Arc : c’est le père de Jeanne.

  1. S. Luce, p. 108. — Voir le document reproduit par le P. Ayrolles, la Vraie Jeanne d’Arc, la Paysanne (p. 495).
  2. J’ai entre les mains un document original et inédit, malheureusement non daté, par lequel Robert de Saarbrück, s’adressant aux échevins de Metz, proteste contre les faux bruits que fait courir sur son compte Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, et prie ses amis de l’aider à les détruire en toute occasion. Évidemment l’hostilité est des plus vives alors entre les deux sires.