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qui ne jette vers Paris le même appel ardent : « Quoique vous vous trouviez dans une région bien éloignée, sachez que vous êtes tout près de notre cœur[1]. »

Les gens de Domremy pensaient de même, sentaient de même : avec quelle ardeur ! On sait quelle est, de tout temps, la violence des partialités françaises. Jusqu’aux gamins du village qui se battaient avec ceux du village voisin de Maxey, ceux-ci étant, pour des raisons que la tradition et la géographie expliquent également (Maxey est sur l’autre rive de la Meuse), « Lorrains, » « Bourguignons, » « Anglais ! »

Ces partis pris déclarés ont leur responsabilité et cela, aussi, nos Français l’acceptent.

La châtellenie de Vaucouleurs, Domremy, si calmes et si paisibles sous la main de justice et le sceptre royal, doivent subir, maintenant, leur part du désastre commun. Les derniers de tous, parce que les plus lointains, ils sont frappés à leur tour. Quand la marée de l’invasion eut couvert toute la France du Nord[2] et à l’heure où la vocation de Jeanne d’Arc commence à se décider, la domination ennemie forme un vaste quadrilatère dont les quatre pointes, seules restées françaises, sont, au Nord-Ouest, le Mont Saint-Michel, au Sud-Ouest, Orléans, au Nord-Est Tournay, au Sud-Est Vaucouleurs.

Vaucouleurs avait pour capitaine Robert de Baudri court Celui-ci, soldat brave et astucieux, parvenu de la guerre et un peu du brigandage, était, parmi les chefs militaires de la contrée, le seul qui fût resté fidèle à la royauté. La capitainerie qu’il exerçait à Vaucouleurs lui imposait cette fidélité. Mais cela ne veut pas dire qu’il eût maintenu la paix et le bon ordre dans un pays qui, comme tout le reste de la France, était cruellement déchiré. La guerre générale s’y était accrue d’une foule de guerres particulières où les seigneurs locaux et les chefs de bandes se ruaient les uns sur les autres, en une mêlée inextricable. Les luttes relatives à la succession de Lorraine et de Bar surchargeaient le tout de leurs alternatives capricieuses[3]. Le peuple, comme toujours, pâtissait des querelles des grands. En

  1. Voyez Luchaire, Institutions capétiennes (t. II, p. 272-283).
  2. Voyez A. Longnon, les Limites de la France et l’étendue de la domination anglaise à l’époque de la mission de Jeanne d’Arc. Palmé, 1875, in-8.
  3. Sur l’état de conflit perpétuel où se trouve alors cette région de la France, voyez tout le chapitre II de l’ouvrage de M. Lecoy de la Marche, le Roi René, notamment, t. I, p. 62.