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eussent si longuement pesé le pour et le contre, qu’elle ne serait pas encore prise. Le peuple se prononce parce qu’il n’écoute, en lui-même, que la voix lointaine des expériences passées et ce sens de l’avenir que le contact avec les réalités lui donne. Il se dirige dans l’histoire, comme sur le sol, par des cheminemens sagaces qui ne le trompent pas. Il n’a pas besoin de consulter les cartes pour savoir où va sa route et où l’arrêtent les frontières.

Au temps de Jeanne d’Arc, cette région de Lorraine est continuellement ravagée par les guerres locales : agitation sans but, pouvoir sans responsabilité, ni idéal, ni haute vue, ni perspectives claires, toutes obscurités insupportables à l’esprit français. C’est, en effet, la conception nette d’un avenir bien tracé qui, partout et jusque dans le moindre village, a déterminé les adhésions françaises. En se rattachant à la France, on se rattachait à quelque chose de connu, de puissant, de notoire, on travaillait à une œuvre durable, on était sûr d’un abri. C’est dans un sentiment analogue que les Arabes du Sud, en faisant leur soumission, disent maintenant : « La France est une « grande tente. »

Les raisons qui amenèrent les États de Bretagne à voter, sous François Ier, la réunion de leur pays à la France, celles que Bassompierre alléguait, sous Henri IV, pour décider les Lorrains, sont les mêmes qui, dès le XIVe siècle, faisaient agir les habitans de la modeste châtellenie de Vaucouleurs. Vous les trouverez, dès le XIIe siècle, éparses en tous les pays où naît la France, semences de la nationalité qui lève. De Langres, saint Bernard écrit à Louis VII : « Cette terre est la vôtre... l’évêque sait que tout ici est à vous. » « Souvenez-vous, écrit, trente ans plus tard, l’abbé de Cluny au même Louis VII, que votre royaume ne se compose pas seulement de France, bien qu’il en porte spécialement le nom. La Bourgogne aussi est à vous. Vous ne devez pas moins veiller sur celle-ci que sur celle-là. » Les gens de Toulouse appellent le Roi « leur bon seigneur, leur défenseur et leur libérateur. » Il n’est pas jusqu’à l’évêque d’Elm en Roussillon,