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à l’extrême frontière, qu’il existe une ordonnance de Charles V, déclarant que « quels que, soient les motifs, les raisons, ou les titres invoqués, il ne pourrait jamais, à l’avenir, ni par voie d’échange, ni de quelque manière que ce soit, être séparé ou distrait de la couronne de France[1]. » Ces traits ne suffisent-ils pas pour signaler la situation très spéciale où se trouvaient ces lointaines contrées ?

Que la maison du père de Jeanne d’Arc fût située sur la partie du village réclamée directement par la couronne, ce qui paraît le plus probable, ou qu’elle fût située sur la partie qui relevait du duché de Bar, elle est, de toutes façons, terre française ; seulement, dans le premier cas, elle relève directement du Roi, tandis que, dans l’autre cas, elle en relève comme arrière-fief. Donc, Jeanne n’est, à proprement parler, ni champenoise, ni lorraine : car, ni l’évêché de Toul, ni le duché de Bar ne sont « Champagne » ou « Lorraine ; » la mainmise royale, s’exerçant en vertu du principe qui a constitué toute la France, reste le fait dominant et tranche la question.

Quant à ce que pensaient, sur leur nationalité, les habitans de la partie du village où est née Jeanne d’Arc, nous le savons par Jeanne d’Arc et les siens. Ils dépendaient « de la chambre du Roi à Vaucoaleurs, » c’est-à-dire du royaume de France. Leur juridiction et leur souveraineté étaient là[2]. Ils disaient et on répétait, d’après eux, qu’ils étaient « jouxte la Lorraine » (juxta] ou bien encore « des marches de Lorraine et du Barrois, » ou bien encore infra et in finibus regni Franciæ ; « ou royaume et ès fins et mettes de ceste dicte élection. » Alain Chartier dit : « Une pucelle d’auprès Vaucouleurs, ès marches de Barrois. » Nous dirions, aujourd’hui, comme eux : en « France, au pays de Lorraine[3]. » On ne saurait trop insister sur cet état juridique

  1. P. Ayrolles, La vraie Jeanne d’Arc, la Paysanne, p. 60.
  2. Jeanne d’Arc dit à Jean de Novellompont : « Je suis venue cy, à chambre du Roi, parler à Robert de Baudricourt pour qu’il me fasse conduire au Roi ; » et l’annotateur ajoute excellemment : « Je suis venue cy à chambre du Roi, » c’est-à-dire dans une ville royale, dépendant du Roi, sans moyen. Procès (IV, p. 436). — On va voir d’où cette pensée et cette formule étaient venues à Jeanne d’Arc et comment elles s’appliquaient à Domremy et Greux, ainsi qu’à Vaucouleurs.
  3. Cf. Perceval de Cagny, Procès, IV, 3. — De Fange (loc. cit., p. 8) donne peut-être une importance exagérée au fait que Perceval de Boulainvilliers indique le bailliage de Bassigny. Les mots infra et in finibus Franciæ indiquent que Domremy est à l’intérieur du royaume et cette appréciation est confirmée par les mots qui trancheraient la question, à défaut des autres preuves : Quæ juxta Lotharingiam... nascitur progenita (Procès, V, 117).