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comme un soldat ; il porte l’épée au côté, comme s’il voulait se défendre contre Dieu avec lequel il est en guerre. Tels sont ces soldats du Christ ! N’est-il pas temps de voir surgir d’autres milices sacrées[1] ? »

Cette parole de sainte Catherine de Sienne, c’est, — moins la verve grossière, — toute l’antienne des prédicateurs populaires[2]. Les adversaires étaient les mêmes : les deux aristocraties ecclésiastique et seigneuriale ; les intermédiaires et les agens de la propagande étaient les mêmes : les ordres mendians, nés du peuple dans un esprit de résistance aux abus et au désordre ; les chefs réclamés et sans cesse invoqués étaient les mêmes : à Rome, le Pape ; en France, le Roi. Jeanne d’Arc et ses initiateurs, — peut-être les hommes qui avaient appelé Élizabeth Romée au pèlerinage du Puy, — étaient, en somme, guidés par la conviction, alors si répandue, que Rome et la France ne pouvaient se passer l’une de l’autre et que leur triomphe devait être commun. Un jurisconsulte italien, cité par un jurisconsulte français, l’écrivait : « Le roi de France est le champion (pugil) de l’Eglise ; si le roi de France et le Pape s’entendent, ils peuvent tout[3]. »

En tout cas, et pour les catholiques français, la mission mystique de la royauté française était de foi ; Pia Gallia, Deo devota ; ou encore : « En France la très belle, — Fleur de la Crétienté[4]..., » ainsi s’exprimaient le sentiment et la poésie populaires. Les cœurs français n’eussent pas admis que le monde pût être sauvé si la dynastie des lys venait à périr.

La doctrine religieuse que la mère de Jeanne d’Arc, la pèlerine du Puy, transmit à sa fille n’est pas la seule leçon que reçut la grave enfant. Un autre enseignement, celui du patriotisme le dévouement au pays, lui furent appris, non seulement par les grands événemens qui remuaient le monde et dont le retentissement venait jusqu’à elle, mais par des incidens locaux

  1. Lettres. Ed. Cartier ; lettre XCVI au prêtre André de Vitrino.
  2. Il suffit de renvoyer aux deux volumes de M. Méray, la Vie au temps des frères prêcheurs, 1878, in-8.
  3. Nicolas de Bologne, cité dans Grassaille : Regalia Franciæ, in princ.
  4. De Pange, Patriotisme français en Lorraine (p. 9), — Buchon, Chastelain, notice (p. LIX).