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« Elle lui recommandait fréquemment, quand elle était en quelque endroit où il y avait couvent de frères mendians, de lui rappeler le jour où les enfans élevés par les mendians recevaient le sacrement de l’Eucharistie ; elle se rangeait auprès d’eux et recevait, en même temps que ces enfans, le Saint-Sacrement[1]. »

Ces faits si nombreux, si frappans, ne suffiraient peut-être pas à établir la conviction d’une inspiration commune, s’il n’y avait une preuve plus haute résultant du caractère même de la mission de Jeanne d’Arc. Fille du peuple, elle est dans la filiation de saint François d’Assise et des saints mendians, lorsqu’elle saisit, d’une main populaire, l’étendard des lys, relevant ainsi la cause que la chevalerie avait laissée péricliter.

Dans le monde ecclésiastique comme dans le monde laïque, cette cause était la même, la réforme, la résistance intérieure contre la tyrannie, l’abus aristocratique et féodal. Sainte Catherine de Sienne avait déjà confondu les deux castes dans un même tableau et un même grief : « Celui qui devrait se consacrer au service de l’Église et aux pauvres vit, au contraire, comme un grand seigneur, dans les honneurs et les plaisirs. Il semble que rien ne puisse le satisfaire : quand il a un bénéfice, il en veut deux ; quand il en a deux, il en cherche trois et il ne s’arrête jamais. Il fréquente les mauvaises compagnies et s’arme

  1. Procès, III, p. 14. Le rôle des frères mendians et errans, à quelque ordre qu’ils appartinssent, dans la lutte contre l’Angleterre, a été quelque peu systématisé par M. Siméon Luce : il ne faut pas oublier que des moines de tous les ordres populaires ont figuré au procès soit comme juges, soit comme assesseurs. Mais, en général, le courant est « français, » surtout dans les régions du Centre et du Sud. Rien n’est plus significatif que la présence, fréquemment signalée de moines et de religieux dans les conjurations anti-anglaises, à Troyes (voyez Siméon Luce, p. 345) ; à Paris, à Melun, etc. — M. G. Lefèvre-Pontalis a pu préciser les détails de l’entente patriotique qui eut lieu, en 1424, entre Odette de Champdivers, la douce maîtresse de Charles VI, retirée à Saint-Jean-de-Losne, et le cordelier Étienne Charlot, natif du Donjon en Bourbonnais pour avertir Charles VII de certaines tentatives faites à Rouen ou de certaines surprises qui menaçaient les places restées fidèles. Il n’est pas impossible que Colette de Corbie, la célèbre réformatrice de l’ordre de Saint-François, ait été mêlée à l’affaire. Bibliothèque de l’École des Chartes, janvier-février 1896 (p. 30-34). — Il est à remarquer encore que la propagande de la « légende » de Jeanne d’Arc, parmi les contemporains, est due surtout aux moines. C’est un Augustin qui écrit une des premières légendes de Jeanne d’Arc en Italie. Voyez Lefèvre-Pontalis dans Sources allemandes (p. 144). — Voyez aussi l’étude de M. de Puymaigre dans la Revue des Questions historiques, janvier, juin 1889, 563-74. — II est inutile de rappeler que l’Université de Paris, qui porte la véritable responsabilité de la condamnation de Jeanne d’Arc, était hostile aux moines mendians. Voyez Jean Bréhal et la Réhabilitation de Jeanne d’Arc, par les R. P. Belon et Balme (p. 13). Ces questions seront examinées à leur place, ci-après, dans la quatrième étude sur la Condamnation.