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à la fois exactes et prudentes, selon sa manière toujours loyale, mais toujours avisée : « Interrogée quelle signifiance c’étoit que peindre Dieu tenant le monde et deux anges : répond que sainte Catherine et sainte Marguerite lui dirent qu’elle le portât hardiment (son étendard) et qu’elle fit mettre en peinture là le Roy du Ciel… ; et de la signifiance ne sait autrement… » « Interrogée qui aidoit plus elle à l’étendard ou l’étendard à elle : répond que la victoire de l’étendard ou d’elle c’étoit tout un à Notre Seigneur… » « Interrogée si l’espérance d’avoir victoire étoit fondée en son étendard ou d’elle, répond : il étoit fondé en Notre Seigneur et non ailleurs… » « Interrogée de quoi servoit le signe qu’elle mettoit en ses lettres Jhesu Maria : répond que les clercs écrivant ses lettres lui mettoient et disoient les aucuns qui lui appartenoient mettre les deux mots : Jhesu Maria. »

On ne put tirer d’elle autre chose. Mais les deux partis savaient que les fers se croisaient là. Jeanne devinait ses adversaires dans ses juges et eux pensaient qu’elle était envoyée non seulement contre les Anglais, mais contre eux[1]. La féodalité épiscopale et terrienne se sentait visée par cette jeune fille héroïque qui, dans le royaume, ne relevait que du Roi et, dans l’Eglise, ne s’en rapportait qu’à Dieu. L’incrimination violente au sujet de l’étendard et de la devise Jhesu Maria fut reproduite avec insistance au procès et au jugement de condamnation. C’est un des fameux « douze articles. » cette devise a son origine dans les prédications des moines populaires ; elle est une invocation directe au « Roi du Ciel. » Elle a la force d’un symbole et les juges du procès y devinaient une protestation.

N’est-il pas permis de conclure que ces idées, Jeanne d’Arc les avait reçues de sa mère ? Elles flottaient dans l’air autour du sanctuaire de l’Annonciation qui avait exercé, de si loin, sur la pèlerine des marches de Lorraine, sa puissante attraction. Saint Vincent Ferrier les y avait prêchées, quelques années auparavant, « au grand déplaisir des clercs. » Comme dans le tableau de la Vierge de Miséricorde, les ordres monastiques étaient les intercesseurs de la désolation d’en bas vers les consolations d’en haut. Cet abandon dans la main de Dieu[2], cette foi en la

  1. Voyez plus loin le chapitre de la Condamnation.
  2. On retrouve ce sentiment sur l’action directe de la divinité et, souvent, des expressions identiques dans la bouche ou sous la plume de sainte Catherine de Sienne, dont le rôle, dans l’Église, a tant d’analogie avec celui de Jeanne d’Arc dans le siècle : « Ils ne veulent pas m’écouter, disait-elle ; mais, qu’ils le veuillent ou qu’ils ne le veuillent pas, ils écouteront Dieu. » Et encore : « Je suis incapable de la moindre des choses ; mais je laisserai Dieu agir et j’inclinerai la tête selon que le Saint-Esprit le commandera ; car je mettrai toujours la volonté de Dieu avant celle des hommes… » Lettres, publiés par Cartier (I, 23, 25).