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Paris à Rome en quinze jours. Les agens d’information sont les confidens des rois et des princes, pénètrent (au besoin par l’argent) dans les « retraites » où se cachent les desseins secrets et lèvent les masques sur les visages les plus orgueilleux. Ils savent tout, enregistrent tout, transmettent tout, influent sur la marche des événemens selon leur manière de les présenter. En un mot, ils tiennent l’office de la presse : car il faut que le monde soit renseigné, et l’effort est proportionnel à la difficulté.

Ne croyez pas que le populaire reste en dehors de ces communications rapides et comme mystérieuses en leur rapidité même. Lui aussi, il sait. Les messagers, tout en galopant, jettent les nouvelles le long de la route et, de bouche en bouche, elles volent jusqu’aux plus humbles chaumières. Jeanne d’Arc, en sa marche de Lorraine, sait, très peu de temps après les premières ouvertures, qu’il est question d’un mariage du Dauphin avec une fille d’Ecosse ; elle a nouvelle, très rapidement, de la bataille des Harengs, à supposer que l’on mette en doute la déposition affirmant qu’elle la connut, miraculeusement, le jour même.

Dans ces époques d’émotions violentes et de susceptibilités nerveuses extrêmes, les communications intellectuelles et morales les plus délicates vibrent et se transmettent sans cesse d’un pays à l’autre. Jeanne d’Arc fait inscrire, sur ses étendards et en tête de ses lettres, la devise Jhesu Maria, au moment où, en Italie, Bernardin de Sienne, à la fois réformateur et initiateur, fondateur de la « stricte observance, » propage le culte du saint nom de Jésus[1].

Ces simples mots ne sont pas choisis au hasard. Ils préoccupent les juges de Rouen. On dirait qu’ils y cherchent le trait caractéristique d’une intervention occulte, d’on ne sait quelle affiliation obscure.

A leurs questions réitérées, Jeanne d’Arc oppose des raisons

  1. La prédication de saint Bernardin de Sienne était, dès lors, très connue et très populaire en France, comme l’avait été celle de saint Vincent Ferrier. Le fameux frère Richard qui fut, un instant, le compagnon de Jeanne d’Arc, se vantait d’être le disciple du « Santo » et lançait, d’après lui, des prophéties qu’on appliqua, après coup, à la Pucelle. Il dit, le 26 avril 1429, que « l’an qui seroit après, c’est-à-dire l’an XXXe, on verroit les plus grandes merveilles qu’on eust oncques veues et que son maître, frère Vincent (saint Vincent Ferrier, mort en 1419), le témoigne selon l’Apocalypse, l’Écriture et Monseigneur saint Paul ; et aussi le témoigne frère Bernart (saint Bernardin de Sienne) un des bons prescheux du monde. » Journal d’un bourgeois de Paris, cité par Lefèvre-Pontalis dans Chronique, III, 39.